Quand les journalistes enquêtent sur des allégations troublantes touchant l'attribution de contrats publics payés par l'argent des taxes, Tony Accurso et Bernard Poulin se cachent. Ils se cachent derrière leurs avocats et leurs relationnistes. C'est pourquoi les propos diffusés cette semaine sur le web, qui leur sont attribués, sont si lumineux.

On ne sait pas qui a enregistré ces conversations (disponibles sur Cyberpresse). On ne sait pas qui les diffusées sur YouTube.

Ce n'est pas important. Ce qui l'est, c'est que ces conversations sont d'un intérêt public manifeste.

Elles montrent comment des hommes de l'ombre qui ne détiennent aucun poste public abordent la «gestion» de la chose publique, en tirant des ficelles qui font passer des officiels publics comme Dimitri Soudas (adjoint du premier ministre du Canada), comme Lawrence Cannon (député conservateur, ministre des Affaires extérieures du Canada) et Léo Housakos (sénateur conservateur) pour des marionnettes.

Tony Accurso (Simard-Beaudry, Construction Louisbourg) et Bernard Poulin (la firme de génie SMi) sont spécialisés dans le domaine des grands travaux. Autoroutes, viaducs, compteurs d'eau, édifices publics: ces deux entrepreneurs font des millions de dollars à construire des infrastructures avec l'argent des taxes.

Les enregistrements rendus publics sur YouTube montrent que Bernard Poulin et son interlocuteur -qu'on identifie comme étant Tony Accurso- avaient un intérêt évident pour placer un homme, Robert Abdallah, ex-DG de la Ville de Montréal, à la tête du Port de Montréal.

On les entend dire que Soudas est le «vrai patron du Québec», que le conseiller de M. Harper «peut donner un ordre» à Marc Bruneau, président du conseil d'administration du Port de Montréal.

On les entend dire que Housakos, un ami de Dimitri Soudas, «est capable de livrer des choses».

On les entend dire que pour placer Robert Abdallah à la tête du Port de Montréal, «il faut passer par du non-traditionnel» parce que sinon «on n'est pas dans la game pantoute».

Dans une autre conversation, on entend une voix, identifiée comme celle de Tony Accurso, dire à un interlocuteur non identifié qu'une rencontre à Ottawa s'est déroulée «exceptionnellement bien», rencontre où Lawrence Cannon, député et ministre québécois, s'est fait dire par «the big boss» (qui n'est pas identifié) de régler un problème. Et que Lawrence Cannon s'est exécuté «sur-le-champ» (right there and then).

Et, encore plus troublant, on entend M. Poulin et son interlocuteur parler de «récompense» s'«il» réussit à «livrer quelque chose».

Une récompense.

Pour «il». Qui est «il»?

Léo Housakos, sénateur conservateur, qui peut «livrer des choses»?

Dimitri Soudas, conseiller du premier ministre du Canada, qui peut «tordre des bras»?

On ne sait pas. Mais on a ici deux hommes qui parlent de donner une «récompense» à un de ces deux hommes, si la marchandise est «livrée». La marchandise étant, ici, la nomination de Robert Abdallah, leur homme, à la tête du Port de Montréal. Robert Abdallah qui s'est trouvé un job chez M. Accurso, après qu'on eut choisi quelqu'un d'autre pour présider les destinées du Port de Montréal.

J'emploierai l'euphémisme «troublant» pour qualifier cette allusion à une récompense et le fait que deux hommes d'affaires manoeuvrent en coulisse pour faire nommer quelqu'un à la tête du Port de Montréal, en piétinant les prérogatives du conseil d'administration.

Dans le cas de Bernard Poulin, c'est la deuxième fois que des enregistrements de ses conversations téléphoniques jettent une lumière nouvelle sur les ficelles qu'il tire. Il y a un an, La Presse a diffusé des conversations avec Frank Zampino, alors bras droit de Gérald Tremblay, montrant que le maire de Montréal se faisait jouer dans le dos par M. Zampino.

M. Zampino qui a dû démissionner dans la disgrâce la plus complète après qu'on eut appris qu'il était allé sur le somptueux yacht de M. Accurso, alors que la Ville de Montréal s'apprêtait à choisir à qui elle allait donner le contrat des compteurs d'eau, le plus richissime contrat public de son histoire. M. Accurso faisait partie du consortium qui a hérité de ce contrat.

Rien n'oblige évidemment MM. Accurso et Poulin à répondre aux questions des médias. Faire des millions de dollars grâce à des contrats publics ne vous force pas à expliquer certaines choses à ceux qui paient pour ces contrats.

Mais on comprend mieux, à la lumière de ces conversations, pourquoi Tony Accurso et Bernard Poulin, depuis des mois, se cachent derrière leurs avocats et leurs relationnistes. S'ils parlaient candidement, ils auraient peut-être l'air de marionnettistes qui manipulent avec brio des officiels publics.