Ce n'est pas l'anonymat, c'est son cousin web pervers: le sock puppet. Littéralement, une marionnette faite avec une chaussette. Dans la réalité virtuelle, je suis un sock puppet si j'agis sous une fausse identité, pour faire la promotion d'une personne, d'une entreprise, d'une idée.

Tenez, en 2009, j'avais découvert que la boîte de publicité embauchée par Stationnement de Montréal pour faire la promotion de l'arrivée de BIXI s'était livrée à du sock puppeting primaire en créant de faux internautes pour parler en bien de BIXI.

L'idée, bien sûr, est de surfer sur l'apparente bonne foi de l'internaute désintéressé. Si le publicitaire vante BIXI, tout le monde sait qu'il a un intérêt manifeste à ce qu'on «aime» son client. Si le publicitaire publie des commentaires sur des sites de journaux et sur Facebook en se faisant passer pour un cycliste ordinaire, personne ne sait qu'il est payé pour manifester son enthousiasme. Sa crédibilité s'en trouve accrue.

Le sock puppet - ou faux-nez, selon la jolie traduction proposée par Wikipédia - peut agir seul, uniquement pour son bénéfice personnel. Cas célèbre: l'historien britannique Orlando Figes qui a, sous une fausse identité, fait l'éloge de ses propres ouvrages sur le site du libraire virtuel Amazon. Le vrai-faux Figes, bien sûr, a critiqué le travail d'historiens rivaux.

Hier, sur Twitter, le journaliste Simon Jodoin, de Voir, a relevé un truc fascinant. Deux utilisateurs de Twitter, @Vanessasamson et @Sebsm, semblaient avoir pour seule fonction la promotion et la défense du comédien-auteur-humoriste-dramaturge québécois Stéphane E. Roy.

Il se trouve que Jodoin a eu maille à partir avec Roy, sur Twitter. Il se trouve que @Vanessasamson a varlopé Jodoin pour avoir osé critiquer le grand comédien-auteur-humoriste-dramaturge. Il se trouve que @Vanessasamson commet beaucoup de fautes d'orthographe, comme Roy.

J'ai commencé à poser des questions à Roy (transparence totale: je me suis publiquement et vertement engueulé avec lui, il y a quelques années) à ce sujet, hier matin. J'ai eu un échange privé avec «Vanessa» sur les joies du sock pupetting. Quelques minutes plus tard, le profil Twitter de la grande fan du comédien-auteur-humoriste-dramaturge était mystérieusement supprimé. Celui de @Sebsm aussi.

Par la voix de son agent, Roy m'a fait savoir qu'il n'était pas derrière le compte de cette charmante Vanessa qui chantait ses louanges. Mais je note le hasard : deux profils Twitter qui encensaient une célébrité mineure ont disparu peu après qu'on eut mis en doute leur légitimité. Un hasard, disons, incommensurable...

Bien sûr, quand il s'agit d'individus dont l'ego gonflé à l'hélium sent le besoin de faire de l'autopromotion trompeuse sur le web, la pratique du faux-nez numérique ne porte pas à conséquence.

Sauf que des intérêts plus grands, plus pernicieux, se livrent aux mêmes mascarades pour influencer la conversation sur le web, pour discréditer des gens et des idées, pour promouvoir des idéologies. Pour vous fourrer, en somme.

Au Québec, le collègue Pierre Duchesne a récemment révélé à Radio-Canada que le Parti libéral du Québec avait un faux-nez sur Twitter. Duchesne a découvert que des employés du PLQ se faisaient passer pour des citoyens «ordinaires» et défendaient le parti de Jean Charest sur le web.

Réponse et défense du PLQ: oui, bien sûr, mais le PQ le fait aussi! L'histoire de Duchesne n'a pas suscité l'indignation que mérite ce genre de saloperie.

Ailleurs dans le monde, le Parti communiste chinois paie des blogueurs pour envahir les espaces virtuels (blogues, journaux) où on ose critiquer la Chine. Le Central Command des États-Unis a récemment acheté un logiciel californien qui permet à ses soldats de masquer leurs traces numériques et de commenter l'actualité ici et là en donnant l'impression qu'ils ne sont pas Américains.

Les exemples abondent, mais on ne peut recenser que ce qui est connu. Dans les mots de George Monbiot, chroniqueur du Guardian de Londres: «Je ne dis pas que tous ceux qui font dérailler les discussions sur le web sont payés. Mais je serais surpris qu'aucun ne le soit.»

Quatre semaines de campagne électorale nous pendent encore au bout du nez. Si des trucs que vous lisez sur le web puent autant que des chaussettes d'ado, vous êtes peut-être devant un sock puppet payé par votre parti politique préféré.

LES FANTÔMES DE L'UQTR Il y a quelques semaines, j'ai chroniqué à propos d'un cours sur le paranormal à l'UQTR. Depuis, le prof Régis Olry se démène comme un diable dans l'eau bénite, avec la bénédiction de son vice-recteur, Sylvain Delisle. Les deux disent que le paranormal est un sujet d'étude fort pertinent et que la science est abondante à ce sujet.

Je veux bien. Mais ce qui est bidon, dans ce cours, ce n'est pas le sujet. C'est que le prof Olry attribue 50% de la note finale à un travail de DEUX pages où l'étudiant doit, sans fournir de références scientifiques, donner ses impressions sur un phénomène paranormal, vécu ou... inventé!

Et M. Delisle qui se fend d'un communiqué de presse pour défendre ce genre d'évaluation indigne d'une université... Mes chakras ont des rhumatismes.

Suggestion pour l'an prochain: pourquoi ne pas demander aux étudiants de faire une sculpture en pâte à modeler pour décrire leurs impressions sur les rencontres du troisième type? Question de rendre le cours encore plus «difficile».