J'aimerais féliciter Jean Charest. Vous avez bien lu! Le premier ministre a cafouillé souvent ces dernières années, et comme d'autres je l'ai esquinté. Mais un petit passage de son discours inaugural donne à penser qu'il a au moins compris ceci: la lutte contre le cancer, au Québec, est minée par une désorganisation pathétique.

Vers la fin de son discours, M. Charest a prononcé 173 mots au sujet des défis québécois en matière de cancer. Il a annoncé la création d'une Direction québécoise du cancer qui va «coordonner les services et les ressources», une bibitte aux contours encore flous, bien sûr.

L'automne dernier, pour La Presse, j'ai signé une grande série sur le cancer au Québec. Tous les oncologues à qui j'ai parlé, dans mes recherches, m'ont vanté le modèle de la Colombie-Britannique, en matière de lutte contre le cancer. Tous.

La British Columbia Cancer Agency (BCCA) est LA boss de la lutte contre le cancer dans cette province. Elle intègre tous les aspects de la lutte contre le cancer, sur un modèle vertical. Rien à voir avec le modèle québécois, décousu, qui glorifie le travail en silos.

Dans Google, quand on tape «cancer» et «British Columbia», c'est le site de la BCCA qui apparaît en premier. Tapez «cancer» et «Québec», et le premier site qui apparaît est celui de la section québécoise de la Société canadienne du cancer. Le premier site du gouvernement québécois recensé est un document PDF du ministère de la Santé, qui fait un état des lieux du cancer au Québec.

Ce n'est pas un détail anodin. C'est plutôt une loupe sur une situation méconnue, hors des cercles médicaux: la lutte contre le cancer, au Québec, est désorganisée. Pour ne pas dire une farce. La main gauche du système ne sait pas ce que la main droite fait.

Un exemple? Le Dr  Dominique Synnott compte des patientes qui ont dû subir les affres d'une mastectomie. Pourtant, la Régie de l'assurance-maladie leur envoie périodiquement, à ces patientes, des rappels sur l'importance de la mammographie! Clin d'oeil cruel d'un système mal organisé.

Un autre? Le CHUM a honteusement fait patienter pendant des mois des femmes qui devaient être opérées de façon urgente pour des cancers gynécologiques. Manque de salles d'opération. Le CHUM est poursuivi par une patiente, dont le cancer s'est aggravé dans l'intervalle.

Encore un exemple: ici, le recensement des cancers est si pourri que Statistique Canada exclut souvent le Québec, qui ne possède pas de registre provincial, de ses portraits nationaux en matière de cancer!

Et voici que le premier ministre du Québec, avec 173 mots, semble reconnaître que cette farce ne peut plus durer. Voici qu'il parle nommément d'un registre. C'est pourquoi je le félicite. C'est un début.

Mais le plus dur reste à venir. Car pour l'instant, comme le note le Dr Pierre Audet-Lapointe, oncologue à la retraite, impliqué avec la Coalition Priorité Cancer, «ce sont de grandes généralités» dont parle le premier ministre. Très juste: hier, au bureau du ministre de la Santé, Yves Bolduc, on promettait des annonces précises...plus tard.

La machine va résister, c'est sûr. Si Québec nomme un boss de la lutte contre le cancer, investi de pouvoirs réels, il y a des hôpitaux, des départements d'oncologie, des «structures» et même des députés qui vont bougonner. Et déjà, Nathalie Normandeau, vice-première ministre, au RDI hier, a cru bon préciser que c'est une «Direction», «pas une agence».

Pourquoi la nuance? On a hâte de savoir.

Le Dr Denis Soulières, hémato-oncologue au CHUM, est aussi partisan d'une agence de type BCCA. Sa réaction à l'annonce du PM est prudente: «Il y a encore un long chemin et un besoin d'investissements significatifs pour que le Québec rattrape le temps perdu. Investissements en diagnostic précoce, en mesure d'investigation, en thérapies diverses et en recherche. Une vraie lutte contre le cancer demande toutes ces composantes.»

Mais je persiste et je signe: le seul fait que le chef de l'État ait lui-même annoncé cette Direction québécoise du cancer est une bonne nouvelle. Même le député Amir Khadir, de Québec solidaire, lui-même médecin, a applaudi ce segment du discours de

M. Charest. «Il s'agit maintenant d'arrimer cette agence aux demandes du milieu», m'a-t-il dit.

Pauline Marois, elle, a fait de la petite politique, en choisissant de critiquer cette annonce sous le prisme, hyper-réducteur, des «listes d'attente». Ce faisant, elle confirme ce que des acteurs du milieu m'ont dit de son passage au ministère de la Santé, jadis: pour elle, la lutte contre le cancer est un enjeu comme tant d'autres. Aucune vision.

Peut-être que la chef du PQ devrait s'informer à propos du modèle de la Colombie-Britannique, dans le rayon de la lutte contre le cancer. Bien sûr, la documentation risque d'être en anglais. Mais je suis sûr que quelqu'un, au PQ, peut lui traduire le tout...