Bizarre. J'ai commencé la semaine avec une chronique sur National; je finis avec une autre chronique sur National: l'opposition péquiste a mis National sur le gril à l'Assemblée nationale, cette semaine, en révélant la teneur de certains de ses contrats avec l'État.

National, voyez-vous, reçoit des mandats de l'État, de différentes mamelles de l'État, pour «faire» des communications. Tous les gouvernements font ça. Ils donnent des mandats à des tas de firmes privées pour un tas de services, de la rédaction de discours à la formation sur les relations avec les méchants journalistes.

Donc, le PQ nous a appris que National, fleuron des relations publiques canadiennes, a écrit un discours pour le ministre Clément Gignac, à la demande du Bureau de normalisation du Québec. On aurait cru que, au cabinet de M. Gignac, quelqu'un saurait écrire un discours de 175 mots (du début de cette chronique au début de cette parenthèse, il y a 141 mots), mais on se serait trompé. Il a fallu faire appel à National. Qui a écrit les 175 mots. Facture: 6329$.

Vous avez bien lu, oui: 6329$.

Puis, on a appris que la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) avait demandé à National d'aller «espionner» un groupe de motocyclistes militants dans un salon spécialisé, au plus fort des contestations des adeptes de moto contre la hausse de leurs primes d'assurance. La firme est revenue du salon avec un rapport de deux pages assorti de fines observations comme celle-ci: les motocyclistes sont très «motivés», derrière leurs stands. Facture: 2300$.

Vous avez bien lu, oui: 2300$ pour... rien.

Le PQ en avait une autre bonne, à propos de la SAAQ. Un contrat de 58 000$ donné à National prévoyait, entre autres choses, la «préparation» des officiels de la SAAQ pour une comparution devant les députés, en commission parlementaire.

Vous avez bien lu, oui: un bras de l'État (la SAAQ) a payé une firme privée (National) pour préparer la réponse à l'État (les députés).

C'est le chien qui court après sa queue. Sauf que, chaque fois que le chien se mord la queue, ça coûte 100$ à son maître.

Les montants sont scandaleux. Mais le raisonnement, derrière, l'est encore plus: c'est l'obsession de la communication. Les péquistes ont beau déchirer leur chemise, outrés, c'est une obsession qui transcende les lignes de parti. Ils ont cautionné des singeries semblables, en leur temps (Oxygène 9, Bleu Blanc Rouge et même National, qui a hérité de contrats juteux sous Louise Harel pour «vendre» les fusions municipales). Le scandale, ce n'est pas National. Ce n'est même pas l'idiot qui commande à National un discours à 36$ le mot pour que le ministre (l'État) félicite en Chambre une division du Bureau de normalisation du Québec (l'État, encore). Le scandale, c'est le système, qui a parfaitement métabolisé le «besoin» de gérer son image.

Laura Penny, dans son livre Your Call Is Important to Us - The Truth about Bullshit, offre la meilleure analyse de l'alliance entre les politiciens et les rédacteurs de discours, privés ou pas. «Cette division du travail rhétorique, écrit Mme Penny, signifie que les cerveaux qui pensent aux mots n'ont pas à les prononcer. Et ceux qui prêtent leur voix aux mots n'ont pas à y penser. Les mots sont encore plus débranchés de la réalité...»

Parlant de la réalité, toutes ces conneries de nos élus donnent envie d'acheter une bouteille de mauvais scotch, de s'enfermer dans un chalet abitibien et de jouer au Twister, nu, tout le week-end. Non, mais il faut ce qu'il faut pour ne pas devenir fou...

Mais heureusement, il y a Jean-Marc Fournier!

Oui, il y a Jean-Marc Fournier, au milieu de la tempête, debout, vaillant, volontaire, intrépide, socle inébranlable de détermination libérale, pour nous dérider avec son humour. Un humour involontaire, mais on ne peut pas tout avoir...

Quand il est revenu en politique, au cours d'une partielle dans une circonscription peinte en rouge, il a promis quelque chose comme l'élévation des débats à l'Assemblée nationale. Leader en Chambre, c'est lui qui va au bâton pour défendre son gouvernement. À propos de l'espionnage de la SAAQ, qu'a-t-il répondu? Rien. On appelle ça la période des questions, et non la période des réponses, pour une raison...

La «réponse» de M. Fournier, donc: «Les affaires d'espionnage, je laisse ça à Claude Morin...»

Claude Morin étant, jeunes lecteurs, un ministre de René Lévesque dont les liens avec la GRC ont été exposés en... 1992. Il y a donc 18 ans. M. Morin ne fait pas partie de la députation péquiste. Il n'a aucune fonction officielle au PQ, où il est vu comme un traître. Pas grave: c'est M. Morin qu'évoque Jean-Marc Fournier pour défendre la bêtise de la SAAQ.

Je m'accroche au fol espoir que les âneries de M. Fournier sortent de son imagination, qu'elles ne sortent pas de la fabrique de discours à 36$ le mot de National.