Dans le restaurant, il y avait de grands téléviseurs : Newsworld, RDI, LCN. Sans le son. C'était début février, au centre-ville. La période de l'année, frette et grise, où t'as comme envie de sacrer ton camp. Loin.

Je revenais d'Haïti. Et veux, veux pas, pour le travailleur de l'information qui revient de contrées lointaines - sinistrées ou pas - le Québec ressemble toujours à une vieille pantoufle en Phentex.

Avec la chum, on a parlé d'Haïti, de nos amours, du travail, d'amis communs. Sans trop d'ardeur, en attendant nos combos soupes-sandwiches.

- Robert est passé en ville, pendant que t'étais parti.

- Il a lâché l'Asie ?

- Non, non, juste de passage à Montréal, a fait ma chum.

Robert a la bosse des affaires. Ma chum l'a connu dans une autre vie, postuniversité, avant qu'il ne se lance dans l'orbite du business asiatique. Il habite au Cambodge. Ou en Thaïlande, je ne sais plus. Enfin, il fréquente ces coins de l'Asie où tout est à faire.

- Pis? Comment il va, le beau Robert?

- Il m'a dit quelque chose de drôle. Il m'a dit que toutes les fois qu'il revient à Montréal, ça le frappe toujours de voir à quel point rien ne change, ici.

* * *

Depuis, cet échange me hante un peu. Je cherche à mettre un peu de chair sur cet os que je ronge en silence. Mais ça donne un peu le vertige, quand même, le vide.

Puis, hier, je me suis tapé le Contact que Stéphan Bureau a piloté avec le réalisateur Denys Arcand, un entretien superbe d'une heure, filmé dans ses terres à Deschambault, qui sera diffusé demain à Télé-Québec.

Et Arcand a cette réflexion terrible sur le Québec, quand il évoque ses cogitations de cinéaste, juste avant le Déclin, en 1986 :

«Ce qu'il faut, c'est faire des films qui soient exactement comme nous, comme notre vie. Qu'est-ce qu'on connaît nous, les Québécois, c'est quoi l'essentiel de notre vie? L'essentiel de notre vie, c'est qu'y a pas de drame, y a pas de grand drame sanglant, y a pas de révolution. Y a rien, dans nos vies. Tout ce qu'il y a, c'est: "J'ai trompé ma femme, hier, j'espère qu'elle ne le découvrira pas." Des choses de cet ordre-là, de l'intime. »

Bang. Ça m'a ramené à ce midi frette et gris de février, quand j'attendais ma soupe, avec mon amie. Y a rien, dans nos vies. Ça m'a rappelé Liza Frulla, sur un des écrans, qui gesticulait en silence, au Club des ex, au-dessus du bar. Et ça m'a un peu donné envie d'être Polonais.

Arcand note que c'est Cannes, que c'est Hollywood, que c'est Toronto qui l'ont soutenu, comme réalisateur. Pas le Québec, dit-il à Bureau, ajoutant que Robert Lepage et François Girard montent des opéras à l'étranger. «Hors du Québec.»

Arcand semble désabusé, mais d'une implacable lucidité. Dans le cimetière du village de son enfance, il évoque ces artistes qu'il a côtoyés et qui se sont suicidés : Aquin, Groulx, Jutra. Bureau lui demande alors si, lui-même, a déjà pensé au suicide. Réponse du réalisateur oscarisé pour Les invasions barbares : «J'ai toujours pensé à ça. Ce n'est pas toujours si agréable que ça, la vie.»

* * *

Mais je reviens à cette phrase assassine d'Arcand lancée à Bureau. Phrase qui, peut-être, résume tout le Québec de 2010, d'une certaine façon : Y a rien, dans nos vies.

Pas fou, au fond.

Notre grand projet collectif?

Euh, attendez une seconde. L'échangeur Turcot? Le CHUM? Et quand nous sommes vraiment ambitieux: la laïcité.

On peut mettre des oeillères et rire d'Arcand, se moquer d'un vieux cinéaste de bientôt 68 ans qui aimerait qu'on lui élève un monument de son vivant. On peut.

Mais regardez notre cinéma, présentement. Oui, l'«industrie» est vibrante, les Québécois regardent leurs films. Oui, nous trippons sur des histoires de flics qui le sont de père en fils, sur des biographies de chanteurs populaires décédés il y a à peine 10 ans, sur les souvenirs d'un kid qui a grandi en 1981.

De l'intime.

Et si ce n'était pas la faute de notre cinéma? Si c'était la faute, justement, de ce rien qui flotte partout ? Je n'aime pas le mot, il a été piraté par les gens d'affaires, mais si c'était la faute de cet immobilisme tant décrié? Le cinéma n'est que le reflet d'une époque.

Or, s'il ne se passe rien, dans l'époque, comment tu veux faire des films comme Les ordres ou Réjeanne Padovani?

Tu les fais pas. Tu fais des films où tu parles de tuer ta mère.