Il fut une époque, jeune lecteur, où l'ado plein d'hormones stimulait son imaginaire sexuel avec la section soutiens-gorge du catalogue Sears. Et je ne te parle pas de 1922. Je te parle de 1989. S'il était très chanceux, cet ado savait où trouver la cachette des Playboy de son père.

Tu sais c'est quoi, Playboy, non?

Laisse tomber.

Sais-tu au moins ce qu'est la luxure?

 

C'est la «recherche immodérée des plaisirs sexuels» et c'est un des sept péchés capitaux, selon les chrétiens. Il a même son propre démon, selon la Bible: Asmodée. Je ne te suggère pas d'aller le voir sur Wikipédia. Il a une sale gueule.

La luxure, donc. En ce début de XXIe siècle, je n'ai pas beaucoup de certitudes. Mais en voici une: de toute l'histoire de la marche glorieuse de l'humanité, jamais l'homme (l'Occidental en tout cas) ne s'est autant masturbé.

Et c'est la faute d'un démon nommé Internet Haute Vitesse.

Professeur associé à l'École de service social de l'Université de Montréal, Simon Louis Lajeunesse étudie le rapport entre l'homme et la porno en ce début de siècle débridé. J'aimerais vous dire qu'il s'inquiète de la place grandissante du XXX dans la société (et dans la tête des hommes), ça ferait un meilleur papier.

Mais non. Le Dr Lajeunesse n'est pas inquiet.

«Ça n'intéresse pas les hommes que leur sexualité soit identique à celle de la porno qu'ils consomment. Ils savent bien que la porno est un carnaval où tout est exagéré. Ils savent que ce n'est qu'un fantasme. Je ne constate pas d'effet sur le réel.»

Pourtant, cette forme solitaire et démocratique de luxure porte encore en son sein un tabou immense, note le prof Lajeunesse: «Une partie de la culpabilité religieuse que les hommes éprouvaient s'est transposée sur le féminisme. On se sent coupable d'utiliser la porno face aux femmes.»

Résumons: la porno s'est immiscée dans la culture populaire au point où on parle ouvertement de MILF et de cougars. Mais l'homme en a encore honte, quand même. Il en parle. Il blague. «Mais il ne voudrait pas se faire prendre par sa copine!» dit Simon Louis Lajeunesse.

Au bout du fil, Ariel Rebel, 25 ans, a la voix d'une jeune femme épanouie et le vocabulaire d'une diplômée en littérature. Elle fait pourtant carrière en périphérie de l'industrie du XXX, dans le soft porn, vedette d'un site web où elle se dénude et se donne en spectacle. C'est son job. Elle en vit.

Du Texas, où elle voyage «pour affaires», Ariel me parle de son goût de l'esthétisme, de son amour de la beauté du corps, amour qui se traduit dans le produit qu'elle offre. Je lui dis que les gars, eux, ne fréquentent pas son site par amour de l'esthétisme.

Ariel, en riant: «Disons-le crûment, ils sont là pour se faire plaisir.»

Moi, gêné: «C'est particulier. Ton travail sert à permettre à des gars de se branler.»

Ariel, pas gênée du tout: «C'est ma petite contribution à leur bonheur, dans un sens...»