C'était en décembre. Le Toronto Star a publié une série sur ces immigrants qui débarquent au Québec. Une belle série, qui donnait la parole aux immigrants et illustrait les difficultés qu'ils rencontrent dans notre coin du monde.

Un des papiers évoquait la difficulté, pour ces nouveaux Québécois, de trouver du boulot. On évoquait le chômage des immigrants, plus élevé au Québec qu'en Ontario ou en Colombie-Britannique.

J'ai plogué la série d'Andrew Chung sur mon blogue. En soulignant, d'une phrase expédiée un peu vite, qu'il y a quelque chose de pas net dans le rapport des Québécois avec l'«autre». J'avais en tête, surtout, le freak show post-Hérouxville.

Le politologue Christian Dufour, de l'École nationale d'administration publique, m'avait envoyé un courriel, un peu fâché, en me disant que j'avais traité cette série avec une légèreté qui ne m'honorait pas.

Un peu secoué par le courriel de Dufour, je m'étais promis d'investiguer plus avant l'enjeu du chômage chez les immigrants. La semaine passée, mercredi, j'ai passé un coup de fil à Marie McAndrew, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'éducation et les rapports ethniques de l'Université de Montréal.

D'abord, note-t-elle, il y a la difficulté de l'équivalence des diplômes. Le Québec privilégie des immigrants issus de la francophonie. «L'ingénieur qui débarque de Chine ou d'Inde possède un diplôme, par exemple, plus reconnu que celui d'un ingénieur d'Afrique noire. C'est un facteur.»

Second facteur: la langue. «Nous avons 20% d'immigrants non sélectionnés, des réfugiés ou des gens de la famille d'immigrants choisis. S'ils parlent anglais, c'est très dur de fonctionner à Montréal.»

L'immigrant maghrébin ou congolais qui, lui, parle français, se cogne le nez sur l'autre côté de la porte linguistique. «Dans l'immigration sélectionnée francophone, dont 70% est francophone, la connaissance de l'anglais est souvent rudimentaire, constate Mme McAndrew. C'est un obstacle. Surtout s'ils cherchent un emploi dans le privé.»

Troisième facteur: ce que la prof McAndrew appelle la masse critique en entreprise. «C'est un principe de management: on embauche ceux qui nous ressemblent. Dans le cas des femmes, c'est quand les organisations ont atteint 30 à 40% de femmes, une masse critique, que ces organisations ont commencé à changer leur attitude d'embauche face aux femmes.»

C'est ici que le Québec traîne de la patte, dit la chercheuse. «La masse critique, dans le cas des immigrants, n'est pas là. Pas encore. À Toronto et à Vancouver, ça fait beaucoup plus longtemps qu'il y a des gens de toutes origines dans les organisations.»

Ça, c'est le contexte, c'est l'explication derrière les chiffres froids. Ça fait tout autant partie de la réalité que les statistiques de chômage fournies par Statistique Canada.

J'ai parlé à Mme McAndrew mercredi. C'était ironiquement la veille de la publication dans le Globe and Mail d'un éditorial stupide sur la collégienne au niqab et d'une chronique condescendante de John Ibbitson sur la «blancheur» du Québec. À lire le Globe, ce jour-là, le Québec était une terre génétiquement programmée contre l'«autre».

J'ai donc demandé à Mme McAndrew si le Québec, selon elle, est plus raciste que les provinces voisines. Réponse: «Non. Il y a des facteurs culturels et historiques qui expliquent ce chômage plus élevé. Nous sommes dans une phase de transition. On commence à sentir ce que c'est que d'être multiethnique. Il manque la masse critique.»

Le lendemain, jour de la publication des saloperies du Globe and Mail, la prof McAndrew a été interviewée à la radio de la CBC sur l'affaire du niqab. Elle en était un peu dépitée. «À l'émission The Current, littéralement tout le segment a été associé à du racisme ou à de l'islamophobie! J'ai dû remettre les pendules à l'heure.»

Elle a dû, par exemple, évoquer ce microscopique détail oublié par l'animatrice et par un lobbyiste musulman: le cégep a négocié SIX MOIS avec la femme au niqab!

Ce même détail - qui n'en est pas un, j'ironise - a été complètement biffé d'un topo du National, le Téléjournal de la CBC. Ça simplifie l'histoire, j'imagine...

À la fin, sans vouloir tomber dans la victimisation, sans vouloir être parano, j'ai l'impression que les Anglos, quand ils couvrent le Québec, abordent les sujets avec la condescendance du jésuite débarquant chez les sauvages. On va vous sortir de la noirceur, les enfants...

Lisez le courriel reçu par Michèle Ouimet d'une journaliste de la CBC, vendredi, qui l'invitait à participer à une émission de télévision. Évoquant l'affaire du niqab du cégep Saint-Laurent, Camille Greer lui a écrit, de Toronto: «Qu'est-ce qu'il y a au Québec qui fait que les musulmans ont tant de difficulté à y vivre?»

Je sais pas, Mme Greer. Mais Le Devoir a rapporté samedi le cas d'une musulmane ontarienne qu'un juge a forcée à retirer son niqab, au tribunal.

Voici une bonne histoire pour la CBC: qu'est-ce qui fait que l'Ontario est un endroit si difficile pour les musulmans?