J'écris cette chronique avec des gants blancs, marchant sur des oeufs. Il faut peser ses mots quand on parle de certaines choses.

Comme des Italiens du Québec.

J'adore les Italiens du Québec. J'ai des amis qui sont italo-québécois. Je fréquente assidûment un restaurant italien (salut Vincenzo). J'ai eu des coachs de soccer issus de la communauté italo-québécoise. J'ai même eu, jadis, une blonde qui était elle-même fille de papa italien (et c'est dur, dur pour le gendre).

 

Faisons entrer en scène, ici, l'Association des gens d'affaires et professionnels italo-canadiens et son président, M. Giuliano D'Andrea. L'Association est mieux connue sous son acronyme anglais, CIBPA.

La CIBPA a fait une sortie contre Radio-Canada, la semaine dernière, pour dénoncer un sketch de RBO à Tout le monde en parle le 31 décembre. Ce sketch, parodie du quiz télévisé La guerre des clans, mettait aux prises une famille de Québécois pure laine et une famille d'Italo-Québécois.

Extrait de la dépêche de mon camarade Karim Benessaieh à ce sujet: «À la question, par exemple, sur la meilleure façon d'obtenir un contrat de la Ville de Montréal», les Jamboni répondent entre autres: «On pète la yeule à celui qui a fait la meilleure soumission possible» et «Casser une zambe».

Contexte: les nombreuses histoires de copinage dans l'industrie de la construction, déterrées au cours de 2009 par de nombreux médias québécois. De la FTQ à la Ville de Montréal en passant par Boisbriand, ce fut l'année des liaisons qui font lever des sourcils.

J'aimerais dire que des Québécois d'origine asiatique, que des Québécois d'origine belge, que des Québécois d'origine russe et que des Québécois d'origine africaine se sont illustrés dans ces histoires de gangs de routes, d'officiels municipaux à l'éthique élastique et d'allégations de pots-de-vin.

Mais ce serait faux.

Ce sont des patronymes italiens qui revenaient le plus souvent, s'il faut identifier un groupe identifiable. C'est plate, mais c'est ça.

Karim cite ensuite la réaction de M. D'Andrea, qui réclame des excuses officielles de Radio-Canada au nom du CIBPA: «Il y a des limites à la comédie et à la liberté d'expression, estime M. D'Andrea. Pour nous, ce sont des stéréotypes inacceptables.»

Inacceptable?

Pourquoi?

Le sketch ne sous-entendait pas que tous les Italo-Québécois sont des casseurs de jambes bien branchés. Il sous-entendait qu'il y a, dans le merveilleux monde de la construction, des histoires de collusion; histoires de collusion dans lesquelles des protagonistes italiens s'illustrent souvent.

Des projets immobiliers de Catania aux aventures caribéennes de Frank Zampino sur le yacht de Tony Accurso, en passant par le voyage d'un haut fonctionnaire (Robert Marcil) de la Ville de Montréal en Italie à l'invitation d'un entrepreneur qui recevait des contrats de la Ville (Joe Borsellino), la tentative discutable d'un entrepreneur de Boisbriand (Lino Zambito) de s'immiscer dans les élections de cette ville et le financement, en marge des lois électorales, de Benoit Labonté par M. Accurso: disons qu'il y avait beaucoup d'Italiens dans toutes ces affaires, révélées en 2009.

Ah, j'oubliais: Paolo Catania, de Construction Frank Catania, firme qui a conçu le controversé Faubourg Contrecoeur, a été accusé, en septembre, de menaces de mort, de harcèlement et de tentative d'extorsion sur la personne d'Elio Pagliarulo, un associé d'affaires. On n'est pas loin du «cassage» de jambes.

Ça ne veut pas dire que tous les Italiens du Québec trempent dans des histoires où l'éthique en prend pour son rhume, dans le domaine de la construction.

Ça veut dire que les histoires où l'éthique en prend pour son rhume, dans le domaine de la construction, au Québec, mettent bien souvent en scène des Italo-Québécois.

Partant de là, ce n'est pas de l'ordre du «stéréotype» que de faire de l'humour sur cet état de fait. C'est refléter, en la grossissant, la réalité: l'essence même de la caricature. Ce n'est pas «inacceptable». Au contraire.

Il y a quelques semaines, M. Tony Tomassi, ministre québécois de la Famille, issu de la communauté italo-québécoise, s'est retrouvé politiquement dans le pétrin.

Une histoire de places subventionnées en garderies, sortie par le PQ. Il semble que des contributeurs à la caisse du Parti libéral du Québec, résidants de LaFontaine, circonscription de M. Tomassi, aient hérité de places en garderies. La question du lien entre la contribution à la caisse du PLQ et la subvention pour la garderie s'est donc posée.

Comment M. Tomassi s'est-il défendu? Eh bien, en général, fort mal. Mais en particulier, il a ainsi accusé le critique péquiste en matière de famille: «Est-ce que c'est parce qu'ils ont vraiment le racisme au sein de leur propre parti?»

Giuliano D'Andrea et Tony Tomassi, même combat: lancer l'accusation du préjudice ethnique contre l'adversaire. Dans les deux cas, c'est habile. Pervers, mais habile. Parce qu'il est extrêmement difficile de se défendre d'une accusation de racisme. Parce qu'on attaque ainsi l'intégrité de l'adversaire. Parce que l'accusation de racisme laisse toujours un peu de boue sur le tablier d'autrui. On a toujours l'air fou, sur la place publique, quand on est sale.

À la fin, MM. Tomassi et D'Andrea, en jouant la carte ethnique, visent le même but: faire hésiter, la prochaine fois, ceux qui pourraient légitimement les critiquer.