Eh bien, l'autre jour, quelqu'un a ouvert la porte de mon cabanon, en pleine nuit, et il est parti avec mon pédalo. Nul besoin de dire que je suis assez fâché. J'aimais beaucoup ce pédalo d'un jaune rutilant.

Je crois savoir, au fait, qui me l'a volé.

On dit que c'est Dimitri Soudas, le porte-parole du premier ministre du Canada, Stephen Harper.

Ça vous surprend?

 

Remarquez, je n'ai pas de preuves à vous offrir. Mais ce que je peux vous dire, pour me justifier d'accuser M. Soudas, ce sont ces trois petits mots.

On dit que.

Vous aurez compris que je déconne. Dimitri Soudas n'a pas volé mon pédalo.

D'ailleurs, je n'ai pas de pédalo.

Mais je ne déconne pas à propos de ces trois mots qui justifient tout et n'importe quoi dans l'univers parallèle du bureau du premier ministre du Canada. On dit que.

Dimitri Soudas est le porte-parole du premier ministre du Canada, Stephen Harper. Il est, ces jours-ci, à Copenhague, au Danemark, pour cette conférence sur le réchauffement climatique. La position du Canada est claire: fixer des cibles de réduction tellement basses qu'il suffira de retirer des routes un ou deux Hummer pour les atteindre.

Cette position ancrée dans un univers parallèle vaut au Canada plusieurs critiques de militants et de scientifiques. Elle lui vaut aussi les critiques empressées du Québec, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, présents à Copenhague.

Steven Guilbeault est le Gandhi de l'environnement au Québec. Je le dis sans cynisme. L'ancien de Greenpeace, qui a recyclé son action chez Équiterre, reste l'écolo favori des Québécois. Ce qu'il dit est parole d'Évangile. Médiatiquement efficace, il relaie grosso modo les constats alarmants des climatologues qui disent que le climat se réchauffe, que la chose est grave, que c'est la faute de l'Homme.

Et hier, à Copenhague, Steven Guilbeault, critique acharné du gouvernement conservateur en matière d'environnement, a été victime d'une tentative de lapidation publique de la part du porte-parole du premier ministre du Canada.

Le contexte, vous le connaissez peut-être. Les journalistes ont reçu un communiqué de presse annonçant un changement de position radical du Canada, à Copenhague. À lire le communiqué, on aurait dit que Greenpeace venait d'hériter du ministère de l'Environnement.

Sauf que ce communiqué, c'était un faux. Un canular. Pour compliquer les choses, ce communiqué a été «démenti» par un autre communiqué... lui aussi un faux.

C'est ici que Dimitri Soudas entre en scène. Le porte-parole de M. Harper a envoyé une réaction aux journalistes.

Et M. Soudas a accusé Steven Guilbeault d'être à l'origine du canular: «We're told it may have been issued by Mr. Guilbeault from Equiterre.» Traduction: «On dit qu'il pourrait avoir été émis par M. Guilbeault d'Équiterre.»

M. Guilbeault a démenti. Le premier ministre Jean Charest, présent au Danemark, a rapidement pris la défense de l'écologiste, disant que ce n'est pas son genre.

Puis, Radio-Canada a trouvé les coupables: les Yes Men, un groupe de militants qui utilise des canulars du genre pour embarrasser les riches et les puissants.

Rien à voir avec ce canular, Steven Guilbeault.

Autre truc: avant toute cette affaire, M. Soudas a reproché à M. Guilbeault de critiquer le Canada, selon le militant.

Dans un monde «normal», Dimitri Soudas serait viré, cul par-dessus tête. Ce qu'il a dit de Guilbeault est une accusation fausse, sans fondement factuel. Mais c'est une attaque motivée par à peu près tout ce qui caractérise les attaques vicieuses des conservateurs: l'hyperpartisanerie.

Insérez, ici, l'écho d'un mantra de l'ère de George W. Bush: «You are either with us or against us.» Vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous.

Et dans ce cas, c'est assez clair, Steven Guilbeault est «contre» les conservateurs.

Dans un monde normal, Dimitri Soudas serait viré, cul par-dessus tête. Il ne le sera pas. Il a fait une connerie du genre, l'été dernier. M. Harper était en Italie pour le sommet du G8. Il a reproché à son rival libéral des propos que Michael Ignatieff n'a jamais tenus.

Qui avait refilé à M. Harper la déclaration erronée de M. Ignatieff?

Dimitri Soudas.

Mais nous ne sommes pas dans un monde normal. Le monde de l'entourage de Stephen Harper est un monde d'hyperpartisanerie. C'est la marque des bushistes.

Et dans cet univers parallèle, ce qui compte, c'est la loyauté.

M. Soudas est très loyal.

J'ai voulu donner à M. Soudas la chance de s'expliquer. Je lui ai envoyé un courriel contenant trois questions. Les voici:

1- Sur quelles bases avez-vous écrit: «We're told it may have been issued by Mr. Guilbeault from Equiterre» ?

2- Pourquoi avez-vous dit à M. Guilbeault qu'il devrait s'excuser d'avoir critiqué le Canada?

3- Quels sont les paramètres acceptables, selon vous, pour qu'un citoyen privé critique le Canada?

Voici les réponses de Dimitri Soudas:

1- Je ne sais pas combien de fois M. Guilbeault a transféré des communiqués du gouvernement du Canada. Je crois que c'était la première fois aujourd'hui.

2- Yvo de Boer de l'ONU a félicité le Canada pour le rôle positif qu'il joue (voir le National Post d'il y a quelques jours). La première chose que M. Guilbeault m'a dite quand il m'a vu vendredi passé, c'est qu'il allait saisir chaque occasion pour critiquer le Canada.

3- Cela fait partie de notre démocratie d'avoir des opinions divergentes.

Le lecteur jugera, mais la distance entre mes questions et les réponses me semble aussi grande que celle qui sépare Montréal et Copenhague. En fait, je ne vois pas le lien entre mes questions et les réponses du porte-parole de Stephen Harper.

C'est comme si j'avais demandé à M. Soudas: «Pleut-il à Copenhague?» et qu'il m'avait répondu: «J'aime le jaune rutilant de ton pédalo.»

Ça n'aurait aucun sens!

À moins d'habiter un univers parallèle, bien sûr.