Pour un gars dont je venais d'éreinter le syndicat le matin même dans La Presse, Claude Généreux, du Syndicat canadien de la fonction publique, m'a accueilli avec une gentillesse exemplaire au Café République, rue Sainte-Catherine.

C'était jeudi dernier. Le SCFP, plus grand syndicat au pays, était en congrès national à Montréal. Généreux venait d'être réélu à son poste de secrétaire-trésorier.

Et je venais de pondre une chronique, «La drôle de justice du SCFP», au sujet d'un autre chapitre de la guerre civile qui déchire la section locale 301 du SCFP, mieux connue sous l'appellation «syndicat des cols bleus de Montréal».

La section locale 301, Claude Généreux la connaît. Très bien. Parce qu'il est le numéro 2 du SCFP, bien sûr. Mais surtout parce qu'il a côtoyé dans une autre vie tous les protagonistes qui animent la guerre civile des bleus depuis 2005, depuis qu'une équipe de militants a défié l'hégémonie du tandem Michel Parent-Jean Lapierre sur la section 301.

«J'aimerais répondre à quelques parties de ton article... Je peux te tutoyer?»

Ma chronique relatait l'appel du col bleu Serge Lapointe au SCFP, après avoir été métaphoriquement exilé en Sibérie par la section 301 en 2006. Lapointe avait brigué les suffrages à la présidence du syndicat. Score : 40%. Vainqueur : Michel Parent. Suite : une purge des dissidents qui avaient suivi le camarade Lapointe. Purge? Suspensions, de durées diverses, d'activités syndicales.

Lapointe a fait appel au SCFP. Il y a rencontré une succession d'embûches qui, mises bout à bout, ont de quoi laisser penser que le SCFP favorisait implicitement une section locale, la 301, qui lui envoie 2 millions de dollars en cotisations syndicales par année.

Rien à voir, jure Claude Généreux. Oui, le comité d'appel a offert d'entendre Serge Lapointe à Toronto. C'est la coutume : le comité d'appel siège en marge du congrès national. Le SCFP a déplacé les audiences à Ottawa parce que Lapointe et des dirigeants du 301 n'étaient pas disponibles pour les dates torontoises.

Pour Serge Lapointe, tout comité d'appel du SCFP hors de Montréal impliquait des coûts prohibitifs. Il devait faire entendre au bas mot une demi-douzaine de témoins. À ses frais. Donc, Toronto ou Ottawa, même problème : Serge Lapointe, plombier de son état, devait payer le déplacement, les repas et l'hébergement de six personnes. Contre un syndicat qui finance tout cela à même les cotisations de ses membres.

Pourquoi ne pas avoir déplacé le comité d'appel à Montréal?

«Parce qu'aucun des trois membres du comité d'appel n'est québécois. Nous voulions exclure le SCFP-Québec de ce litige. Il fallait donc de la traduction simultanée. Nous avons un tel service à Ottawa. Déplacer les traducteurs à Montréal coûte trop cher.»

Et Claude Généreux me dit qu'exceptionnellement, le comité d'appel du SCFP se déplace, «de façon rogatoire», hors d'Ottawa et de Toronto.

Donc, j'en déduis que le comité d'appel aurait pu accommoder Serge Lapointe, lui éviter des coûts prohibitifs et assurer une certaine équité en se déplaçant à Montréal.

«C'est le comité qui décide, il est indépendant», dit Claude Généreux.

C'est ici que je décroche, dis-je au numéro 2 du SCFP. Comme on dit en québécois : «Il y a toujours moyen de moyenner.» Or, en tenant mordicus à entendre l'appel de Serge Lapointe à Ottawa, col bleu exilé par la section locale 301, le SCFP n'a pas voulu «moyenner».

Et pourquoi avoir refusé à Lapointe le droit d'être représenté par son avocat, Daniel Pelletier, qui épaule tous les dissidents de la section 301?

«Daniel - je l'appelle Daniel parce que je le connais bien - n'est pas un membre en règle du mouvement syndical. Il a peut-être une carte de membre d'un syndicat. Mais membre en règle, pour nous, ça suppose aussi un lien d'emploi dans un lieu de travail représenté par un syndicat. Ce n'est pas le cas de Daniel.»

La suite est connue : Serge Lapointe a jeté l'éponge, convaincu que le SCFP ne lui offrait pas un appel juste et équitable.

Ça fait trois ans et demi que je chronique sur cette guerre civile au syndicat des cols bleus. Le tandem Parent-Lapierre a utilisé, pour punir ses adversaires, un cocktail de harcèlement psychologique et de guérilla judiciaire indigne d'un syndicat.

Or, jamais, en trois ans et demi, je n'ai réussi à obtenir les commentaires d'un officiel du SCFP ou du SCFP-Québec. Claude Généreux a le mérite de n'avoir esquivé aucune question.

Sur cette poursuite en diffamation intentée par Parent et Lapierre (financée par les cotisations syndicales) contre quatre dissidents (dont les frais juridiques ne sont pas payés par la section 301), pour un demi-million de dollars :

«C'est le choix du 301. Mais il y a une meilleure façon de faire les choses. Au 301, on me dit que je ne connais pas tous les faits. Ai-je conseillé de régler autrement? Oui.»

Mais le SCFP, dit son numéro 2, n'a qu'un pouvoir de persuasion sur les sections locales, qui jouissent d'une très large autonomie.

«Je ne peux que les persuader. Ça fait des années que je tente de persuader le 301 de se comporter autrement en période de mobilisation. Et ça donne des résultats. Regarde la manif de mercredi : les cols bleus n'ont pas écrasé une fleur ! Michel Parent, il est content : les journalistes lui posent des questions sur le fond des choses, pas sur le comportement de ses gars. Mais ça prend du temps, les persuader. C'est un dialogue.»

Le numéro 2 du SCFP est mal à l'aise devant deux décisions de la Commission des lésions professionnelles (CLP), qui a conclu que le tandem Parent-Lapierre avait perpétré, encouragé et toléré des actes d'intimidation psychologique contre les dissidents et des employés du bureau du syndicat.

«Est-ce que j'aime ça? Non. Ce n'est pas mes valeurs. Je respecte la décision de la cour. Je n'ai pas trouvé édifiant que Michel Parent blaste la décision de la CLP et ceux qui en ont bénéficié. Ce que ça me dit, surtout, c'est que l'émotion a primé, dans tout ça.»

Le syndicaliste prend une bouchée de sa bavette, puis redevient solidaire du puissant syndicat des cols bleus, malgré ses purges internes aux relents soviétiques, malgré ses tactiques de brute à l'égard des camarades dissidents. Il rappelle que les moyens de pression de la section 301, désormais, ne sont plus brutaux.

«Je ne peux défendre ce qui ne se défend pas, lance Claude Généreux. Mais je ne veux pas participer à cette fête anti-cols bleus, où tout le monde donne des coups de marteau sur la tête du 301. Si je fais ça, je m'exclus du dialogue.»