Michel Arsenault, président de la FTQ, est bien fâché contre l'émission Enquête, de Radio-Canada. Je le cite: «Quand je vois, moi, des supposés ex-dirigeants du Fonds, cachés en arrière d'une couverte, venir nous dire qu'ils ont subi de la pression... Bien moi, je ne peux même pas engager un débat avec ces gens-là parce que je ne sais pas qui ils sont.»

Arsenault fait référence à trois anciens du Fonds de solidarité de la FTQ qui ont témoigné, visage caché, du statut privilégié de l'entrepreneur Tony Accurso dans le traitement des demandes de financement, jeudi dernier.

 

Michel Arsenault a également démenti avec vigueur la révélation d'Enquête selon laquelle la mafia et les Hells auraient a) eu des visées sur le Fonds et b) tenté de l'évincer de la tête de la FTQ.

Totalement faux, a-t-il déclaré en point de presse et dans une allocution sur YouTube.

Le hic, c'est que ces allégations viennent d'une source qui n'est pas cachée derrière une «couverte». Elle vient de la bouche même de Gilles Audette, qui a été enregistré à son insu par le syndicaliste Ken Pereira.

Qui est Gilles Audette?

C'est le bras droit de Michel Arsenault!

Voici ce qu'Audette a dit à Pereira, candidement, hors de la prudence rassurante et capitonnée d'un point de presse convenu: «Y aura pas un câlisse de mafioso pis de Hells qui va atteindre le Fonds de solidarité. Le passé, tu peux pas le défaire, le passé.» Il a aussi dit: «Michel a appris qu'y fallait, comment y ont dit ça, les tabarnaks? J'te dirai pas qui... du côté des Italiens... Il faut que Michel Arsenault débarque de là. Y débarquera pas, Michel Arsenault, câlisse.»

Réaction de Michel Arsenault à cette affirmation: «Légende urbaine.»

Drôle de bras droit que ce Audette, qui colporte des légendes urbaines sur le compte de son patron.

* * *

Revenons une seconde aux sources anonymes interviewées par Enquête.

La pratique est bien encadrée dans les médias qui font de l'information selon les règles de l'art. Sans sources anonymes, il n'y aurait pas eu de Watergate, pas de scandale des commandites.

Dans un monde idéal, les journalistes baseraient entièrement leurs reportages sur des sources qui parlent à visage découvert. Mais ce monde idéal n'existe pas, désolé.

Les sources anonymes viennent donc, le plus souvent, étayer les propos de sources qui témoignent hors de la «couverte». Viennent appuyer des faits découverts dans des documents officiels.

C'est ce que font les sources interviewées par Enquête. Qui a sorti, ces derniers mois, avec d'autres médias, dont La Presse, des faits troublants sur la FTQ, le Fonds de solidarité et la FTQ-Construction.

Des faits qui n'ont pas été contredits par la réalité.

Oui, Jocelyn Dupuis, ex-patron de la FTQ-Construction, a bien utilisé les dollars de cette organisation comme sa petite caisse personnelle, afin de vivre une vie de pacha à même les cotisations syndicales de ses ouvriers.

Oui, Michel Arsenault est bel et bien allé en vacances sur le yacht luxueux du millionnaire Tony Accurso, grand bénéficiaire du fric du Fonds de solidarité.

Oui, le Fonds a consenti de l'argent à un type lié aux Hells Angels, pour un investissement qui a foiré.

On a déjà vu mieux, dans le rayon des organisations où règnent l'éthique, la bonne gouvernance et la transparence.

Ah, j'oubliais. Denis Lessard, de La Presse, a révélé dans la foulée des topos de Radio-Canada que la SQ enquête sur une affaire de blanchiment d'argent impliquant le Hells Angel Casper Ouimet et Jocelyn Dupuis, ex-DG de la FTQ-Construction.

* * *

L'hiver dernier, quand Enquête a révélé, documents à l'appui, que Jocelyn Dupuis avait dépensé 125 000$ en six mois pour des sorties bien arrosées au restaurant, notamment, comment a réagi la FTQ?

Eh bien, elle n'a pas réagi tout de suite.

Comme bien d'autres personnes et organisations ciblées par des révélations embarrassantes, elle a fermé les volets en attendant que passe l'ouragan.

Puis, elle a fini par réagir, sur la défensive, voyant que l'ouragan ne passait pas.

Cette fois, la FTQ a appris de son erreur. Peu après la diffusion du reportage d'Enquête, le président Michel Arsenault était là, sur YouTube, à livrer son message. Un message plein de trous, selon moi, qui s'en tient à des généralités indignées, parsemées du plus vieux truc de relations publiques au monde: l'attaque vicieuse sur le messager, sur ses méthodes et sur ses motivations.

Mais ça reste une opération de marketing. Le but de cette opération-là n'est pas de vendre du savon, de la crème glacée ou un réseau de vélos libre-service. Non, le produit vendu par la FTQ cette semaine était, carrément, sa virginité.

* * *

Un mot sur les gens qui ont parlé à Enquête anonymement.

Peut-on les blâmer?

Voici une histoire qui implique des Hells et des mafieux! Déjà, ça incite un homme à un peu de prudence.

Et quand Ken Pereira a dénoncé, l'hiver dernier, le mode de vie de prince saoudien de Jocelyn Dupuis, la FTQ lui a-t-elle érigé une statue pour avoir dénoncé un profiteur?

Non.

Il a été ostracisé.

Il a été menacé.

Et le nouveau boss de la FTQ-Construction, Richard Goyette, ne s'est pas montré inquiet de ces menaces. Je n'ai pas entendu Arsenault s'émouvoir non plus. Je ne l'ai pas entendu féliciter Pereira.

Autre élément qui incite à parler sous des «couvertes»: Benoît Dubé, du syndicat des ferblantiers et couvreurs, a été congédié pour avoir parlé de l'ascendant du crime organisé sur l'industrie de la construction. Motif: manque de loyauté.

Manque de loyauté! C'est absurde, mais c'est riche en enseignements.

Ce qui compte, pour la FTQ, ce n'est pas la vérité. C'est la loyauté. Deux choses aussi différentes qu'un marteau peut l'être d'un tutu de ballerine.