Rita qui?

C'est ce qu'on s'est demandé, n'est-ce pas, quand Jean-Marie Gustave Le Clézio, auteur français (L'Africain, Ritournelle de la faim), Prix Nobel de littérature 2008, a évoqué une «poétesse innue» en torpillant dans Le Monde le projet d'Hydro-Québec qui va scrapper la rivière Romaine?

Mestokosho, Rita Mestokosho. Auteure de Comment je perçois la vie, grand-mère (1995) et de La mer navigue, le ciel vole, la terre marche et moi je rampe pour humer la vie (2003).

C'est une belle brune de 42 ans. En ce début d'après-midi bizarrement ensoleillé, entre Sept-Îles et Havre-Saint-Pierre, elle mange une salade César, pas loin d'Ekuanitshit, le village innu dont elle est membre du conseil de bande.

«J'étais sur la rivière Romaine quand Le Clézio a publié sa lettre dans Le Monde. J'ai passé quelques jours dans une île avec des amis et des membres de ma famille. À mon retour, j'avais des dizaines de messages qui m'attendaient, grâce à sa lettre...»

La plupart des messages, dit Rita, provenaient de gens qui voulaient savoir comment ils pouvaient l'aider à freiner la construction de cette centrale hydroélectrique de 1550 MW qu'Hydro a commencé à ériger sur la rivière Romaine.

«La lettre a eu un impact... Si c'est trop tard pour sauver la rivière ? Non. Je rêve. Je crois plus à la Terre qu'aux hommes. Mais je rêve que les hommes réalisent ce qu'on fait à la Terre. Peut-être que je rêve trop...»

Quand elle parle, Rita Mestokosho est sérieuse, appliquée, concentrée. Mais à la fin de ses phrases, on dirait que la petite fille qu'elle fut prend le dessus : elle finit toujours ses phrases en riant comme une gamine, comme si elle se trouvait trop sérieuse...

«Il y a 20 ans, on a réussi, les Indiens, à stopper le projet de Grande-Baleine. Mais l'unité autochtone était plus forte. Aujourd'hui, ça travaille plus par communautés. Il y a de l'esprit de compétition. Il y a des entrepreneurs autochtones qui veulent avoir des contrats. Il y en a qui veulent leur part des contrats de la Romaine...»

Elle finit sa bouchée, échappe un petit rire, redevient sérieuse.

«Je me dis qu'on sera toujours perdants là-dedans. On a toujours considéré que ce territoire, c'était chez nous.»

Attends, Rita, une seconde, on va revenir sur la Romaine et Le Clézio, parle-moi de Le Clézio: comment une poétesse innue en vient-elle à inspirer un Prix Nobel de littérature?

«Je l'ai rencontré en 1999, dit-elle, au musée Pointe-à-Callière, à Montréal. Je faisais une lecture publique, il était là. Il m'a fait inviter au Festival des étonnants voyageurs, à Saint-Malo. On a échangé des courriels. Puis je l'ai perdu de vue. Après le Nobel, il est venu à la Grande Bibliothèque, à Montréal ; j'ai reçu un courriel, il m'invitait à souper à Montréal...»

C'était l'automne dernier. JMG Le Clézio et Rita Mestokosho, accompagnés de Mme Le Clézio et de M. Mestokosho, ont cassé la croûte au Café Cherrier. Ils ont parlé de tout, de la vie, de littérature, du temps passé depuis 1999. Et de la Romaine...

«Je cherchais l'appui de gens qui pourraient m'aider à l'international, quelqu'un qui aurait la même sensibilité que moi. Le Clézio connaît les Amérindiens, il partage mes préoccupations face à la Terre...»

Le Clézio a réfléchi, a donné peu de nouvelles dans les mois qui ont suivi. Puis, au début de l'été, Rita Mestokosho a reçu la lettre que le romancier avait préparée pour Le Monde. Elle l'a lue et a donné le feu vert.

La lettre, publiée pendant une visite de Jean Charest à Paris, en juillet, très critique pour Hydro, pourfendait le saccage de l'environnement naturel des Innus. On a retenu quelques erreurs de faits, quelques accès de lyrisme, occultant le fond de la montée de lait de Le Clézio : notre soif constante d'électricité.

Je lui dis que les Innus ont dit oui à la Romaine. Que sa propre communauté d'Ekuanitshit a voté oui à 76%...

«Hydro-Québec nous l'a dit et répété : ça va se faire avec ou sans votre accord. Nos propres avocats nous l'ont dit. Les avocats ! Un avocat, c'est un avocat. Il pense à lui-même. Ton avocat n'est pas ton ami. Ton avocat veut un règlement.»

Je ne voyais pas trop où Rita voulait en venir. Cela a dû paraître dans mon faciès. Elle a ri et a entrepris de m'expliquer :

«Les avocats touchent un pourcentage sur les redevances qu'Hydro verse. Nos avocats nous ont représentés : ils ont touché un pourcentage. Mais il n'y a pas d'argent, pas de pourcentage, pas de redevances quand tu défends une rivière. Quand tu t'assieds avec Hydro, c'est pour négocier une entente. Pas pour sauver la rivière.»

Le téléphone sonne au restaurant. C'est le conseil de bande. Elle est en retard, très en retard à cause de ce journaliste de Montréal, on la réclame. Il faut partir.

«Je mange du saumon de cette rivière. C'est ça, ma relation avec la Romaine. C'est ce qui me fait le plus mal : quand je pense aux saumons. Grâce à Le Clézio, je suis connue. Mais ça ne change rien dans ma vie. Ça va changer plus si la rivière est détruite...»