Matinée sans histoire. Il me semble que je conduisais vers le travail, en écoutant la radio. Je crois m'être lassé d'une entrevue d'un gé-ni-al chorégraphe chez Christiane Charette. Alors je suis allé chez Isabelle Maréchal, à l'autre poste.

Isabelle interviewait une dame qui nous parlait de l'antéchrist, ce chenapan.

- Vous croyez à l'antéchrist?

- Oui. Parce que je vois déjà les signes. Il faut dire que je suis tellement renseignée, j'ai tellement lu, que je vois déjà les signes...

 

- De...?

- De la fin du monde. Ça s'en vient.

L'auteure s'appelle Anne Robillard, elle fait dans le roman surnaturel campé dans le Moyen-Âge. Mais il semble que le surnaturel soit aussi campé dans Mme Robillard, la personne.

L'animatrice a fait remarquer que, bon, bon, bon, la fin du monde, quand même, c'est plausible, mais dans quelques millénaires, quand même...

En guise de réponse, Anne Robillard a répondu ceci:

- En ce moment, je me tape plusieurs livres sur 2012.

- Sur 2012?

- Tout le monde parle de la fin du monde pour 2012...

(Parenthèse, ici. Ce sac à surprises qu'est le web fourmille de rumeurs selon lesquelles les Mayas ont prédit la fin du monde pour 2012. Hollywood capitalise sur ces folies et va nous sortir un long métrage réalisé par Roland Emmerich, en novembre.)

Alors je me suis tapé plusieurs recherches sur 2012, a poursuivi Anne Robillard, mais à mon avis, ce n'est pas pour 2012. C'est pour 2060. Si on calcule tous les chiffres de la Bible et les prophéties, on arrive plus à 2060.

Voilà. Renouvelez votre hypothèque l'esprit tranquille et continuez à mettre des sous de côté pour le doctorat à Harvard de votre petit dernier: la fin du monde n'est pas pour 2009.

Ces jours-ci, on fait beaucoup de cas du Québec, ce paradis de la laïcité. Nous avons décidé, un jour, de sacrer la religion hors de la sphère publique. On en fait beaucoup de cas, depuis que la Fédération des femmes du Québec a décrété qu'il ne fallait pas interdire les signes religieux (nom de code pour «le voile islamique») chez les fonctionnaires.

Il n'en fallait pas plus pour qu'on tombe dans la période de prolongation de la commission Bouchard-Taylor. J'ai l'air d'être loin d'Anne Robillard, mais ne craignez rien, j'en suis tout près, à un horoscope de distance.

Oui, le Québec a rejeté le p'tit Jésus, les grenouilles de bénitier et les curés-disant-aux-femmes-de-faire-15-enfants.

Mais cela a ouvert la voie à une autre forme de religiosité, celle du buffet ouvert du nouvel âge surnaturel. Avec des dames comme Mme Robillard comme Grande Cuisinière, juste au bout du buffet, louche à la main, au-dessus de chaudrons fumants.

On se ferme les yeux, on tend l'assiette et hop, un peu de chakras, un peu de numérologie, un peu de Mayas, quelques passages de la Bible et nous voila spiritualisés...

Pourfendre l'Église qui s'oppose aux condoms en Afrique et excommunie des médecins avorteurs au Brésil? C'est bien vu.

Dénoncer le hijab comme symbole universel d'oppression des musulmanes, toujours et partout? L'affaire est à peu près entendue.

Mais abordez ces singeries débiles du nouvel âge et là, soudainement, on est moins tranchants. On devient accommodants.

Fin 2008, je suis tombé sur un article hallucinant, dans un hebdo de l'Outaouais. L'histoire d'un guérisseur qui avait créé une pyramide de guérison, sur son vaste domaine. Il prétendait que cette pyramide de guérison, surplombant des pierres chaudes, permettait de tout guérir, du cancer au diabète.

La journaliste racontait les bienfaits de la pyramide de guérison comme on raconte l'ouverture d'un centre communautaire. Pas de recul, pas de sarcasme, pas de doute. Elle a tout gobé.

J'ai «blogué» la chose, outré. La journaliste m'a écrit pour me dire que je n'étais pas fin. «Il y a des gens, m'a-t-elle assuré, qui croient à ça.»

Traduction: il faut respecter ces croyances.

Anne Robillard a confié à Isabelle Maréchal qu'elle croyait à la réincarnation. Et Mme Robillard de nous raconter qu'au cégep, elle a rencontré une voyante. Qui lui a dit que, dans sa vie précédente, elle avait été emmurée vivante (ce qui expliquait ses cauchemars).

Mme Robillard, qui fait beaucoup de recherches (dans sa vie présente, du moins), en a fait encore, pour voir si la voyante disait vrai (elle est du genre sceptique, je crois).

Et je sais que vous ne me croirez pas, mais Anne Robillard a retrouvé le village où habitait cette pauvre fille morte emmurée vivante. Et des traces de cette pauvre fille.

«Et elle est disparue l'année où je suis née.»

Stephen King, sors de ce corps.

Il y a quelques semaines, le journaliste Claude Marcil a souligné sur son site (1) que dans toutes les bibliothèques publiques, on trouve de ces livres ésotériques idiots. Exemple: comment se soigner en buvant son urine (bienvenue dans le monde de l'urinologie).

Même la Bibliothèque nationale du Québec achète de ces livres débiles. «Moins de 5% de nos acquisitions», a indiqué une porte-parole à Valérie Dufour, de RueFrontenac.com, la semaine passée.

Moins de 5%. Hum. Question: pourquoi ne pas abaisser le pourcentage à zéro?

Si on sort la malbouffe des écoles et des arénas, on ne peut pas sortir la «mallittérature» des bibliothèques publiques?

Et laisser aux crédules le soin d'acheter leurs livres sur l'urinologie?

Mais on ne le fera pas. Il faut respecter ces croyances.

En terminant, une question pour toi, Isabelle.

Veux-tu bien me dire pourquoi tu n'as pas sorti Mme Robillard de ton studio à grands coups de pied dans le chakra?

(1) kiosquemedia.com