Quand je m'y mets, vous savez, je peux être un journaliste sérieux. Je ne fais pas que bloguer des clips de tortues qui font des guiliguilis avec des souliers. Je peux creuser, fouiller, vérifier, contre-vérifier. Rencontrer des personnes dans des stationnements souterrains, aussi.

Tiens, la semaine passée, avec Katia Gagnon, j'ai creusé, fouillé, vérifié des informations brutalement tristes. Un truc d'intérêt public. Nos sources étaient formelles: l'histoire était vraie.

Nous avions des détails très précis. Une histoire à glacer le sang.

Nos sources étaient formelles. Mises ensemble, les infos racontées par celles-ci concordaient.

Puis, Katia a parlé à une personne qui était au centre de l'événement sur lequel nous enquêtions. Elle a contredit nos autres sources. Expliqué pourquoi ces sources avaient confondu des trucs, ce qui avait faussé leur vision de la réalité.

L'histoire était donc fausse. Elle est morte dans nos calepins de notes. Petit détour pour aborder la nature de l'information.

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Depuis deux semaines, je suis furieux. Un courriel circule, un courriel sensationnel, qui a fait le tour de la province. Scoop, scoop, scoop, annonce-t-il triomphalement. Avant d'associer des joueurs du Canadien de Montréal à des actes criminels très précis.

Et, cette phrase, qui explique en partie ma colère: «Patrick Lagacé s'est fait couper son article peu avant sa parution hier dans La Presse...»

Référence à la nouvelle de La Presse, il y a quelques semaines, à propos des liens unissant les frères Kostitsyn avec un suspect arrêté dans une opération contre le crime organisé.

Le courriel est anonyme. Chaque jour, depuis deux semaines, des lecteurs m'envoient ce courriel. Et dans 90% des cas, on ne me demande pas ce que j'en pense. On me lynche: «VOUS NOUS CACHEZ DES CHOSES!»

Je ne suis pas fâché parce qu'on me crie des gros mots. Je peux vivre avec ça.

Je suis fâché parce qu'un courriel anonyme affirmant des choses sensationnelles fait le tour de la province et qu'il y a des milliers de gens pour croire l'auteur sur parole.

Je reçois chaque jour des pourriels d'un certain Dick_69 qui jure posséder des pilules qui font des miracles pour la taille des appendices sexuels masculins. Je devrais le croire ?

Mais je m'éloigne, désolé. Ce courriel (celui sur le CH, pas sur les appendices sexuels) me met dans la position surréaliste de vous dire que, non, «mon» article (nous étions trois à le signer, en passant) n'a pas été coupé.

Ni par le boss. Ni par l'avocat. Ni par des pressions du CH.

Nous avons, après tout, publié des infos sur des liens très forts entre un mafieux présumé et deux joueurs du CH. Ça devrait vous en dire long sur le pouvoir des «pressions» du CH.

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J'allais dire que le public a une responsabilité, en cette ère où tout le monde peut dire, bloguer et twitter n'importe quoi. Celle de faire attention à ce qu'on «consomme» en matière d'information. Je le pense.

Les médias ont une responsabilité, aussi. Celle de ne pas diffuser n'importe quoi. Dans le feu de forêt de rumeurs qui brûle autour du CH depuis le début de la saison, il y a des camarades travailleurs de l'info qui ont aspergé le brasier d'essence...

Je pense à cet Einstein du journal 24 Heures, qui a publié sur le site web du quotidien gratuit une autre nouvelle sensationnelle: quatre joueurs du Canadien arrêtés par la police, nous a-t-il appris en février, après l'atterrissage de l'avion du club à l'aéroport.

C'était faux. Le 24 Heures a effacé le «scoop».

Et ce n'est pas ce qui fait que c'est pic-pic. Après tout, l'erreur est humaine et elle est aussi journalistique. Non, ce qui me scie les jambes, c'est cette phrase du journaliste, qui explique d'où vient la nouvelle: «Selon une source proche de l'organisation...»

UNE source. Une ! Celui-là est mûr pour le journalisme-citoyen.

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Certains joueurs du CH ont-ils commis des actes criminels?

Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que les rumeurs autour du club sont folles, cette année. Que les rumeurs, par définition, grossissent, enflent, gonflent avec le temps.

Ce que je sais, c'est que des journalistes sérieux ont creusé, fouillé, vérifié et contre-vérifié ces allégations. Ils n'ont rien trouvé. Ils n'ont pas pu confirmer les rumeurs folles.

Ce que je sais, c'est que la semaine passée, avec Katia Gagnon, nous avons fouillé une histoire (qui ne touchait pas le CH). Nos sources étaient formelles: cette histoire à faire dresser les cheveux sur la tête était vraie. Du béton.

Nous-mêmes, nous en étions certains. Tout concordait.

Puis, à la dernière minute, une source a expliqué pourquoi tout le monde se trompait. Pourquoi cette histoire était, finalement... une rumeur.

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C'est Benoît Gagnon, chercheur à la Chaire du Canada en sécurité, qui m'expliquait qu'avec ce courriel anonyme, j'ai désormais un rôle dans cette peste moderne de la société numérique: une théorie du complot.

Tout est là: le secret, les puissants qui tirent les ficelles, le journaliste qu'on fait taire, les déductions débiles faisant appel au proverbial gros bon sens. «Maintenant, n'importe qui peut devenir «spécialiste» sur une question en lançant un site web, en diffusant de l'information, m'écrit Gagnon Cela sera crédible du moment que ce sera «assez vrai».»

On dit souvent que le public a perdu confiance dans le travail des journalistes. Je prends ce genre de constat avec un grain de sel. C'est peut-être le même public qui croit sur parole les courriels sensationnels.

Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je dois aller rencontrer Dick_69 dans un stationnement souterrain...