Il se peut très bien que je sois un agent du grand Capital, un outil de la répression policière, un allié des puissants qui nous gouvernent en disant ceci: à quoi ça rime, cette manif contre la brutalité policière?

Chaque année, en mars, c'est la même chose. Des jeunes se réunissent, marchent dans les rues de Montréal, se frottent aux flics, cassent des choses.

 

Je peux comprendre la colère de certains jeunes. Ceux qui campent place Émilie-Gamelin, surtout. Ils ne voient pas la police de la même manière que je peux la voir. On trouve un fort contingent de ceux-là dans la manif du Collectif contre la brutalité policière.

Sauf qu'il y a des trucs que je ne comprends pas. Que je ne comprendrai jamais. Peut-être que cela fait de moi un complice de cette brutalité policière qui, selon les militants du Collectif, sévit au quotidien dans notre ville.

Par exemple, casser la vitrine de la minuscule pizzeria Pizza Ben, au coin des rues Sainte-Famille et Sherbrooke. Par exemple, casser la vitre de la porte à côté de chez Pizza Ben, qui donne accès à un immeuble, un de ces vieux immeubles à logements qui porte un nom pompeux, dans ce cas «Le Châtelain».

Par exemple, casser une vitre du complexe des sciences de l'UQAM, au coin des rues Saint-Urbain et Sherbrooke.

Par exemple, vandaliser des autos, au hasard, rue Sainte-Catherine.

Je ne suis même pas en train de vous faire un discours pacifiste. C'est juste que je ne vois pas le symbole de la répression policière dans Pizza Ben, dans Le Châtelain, dans l'UQAM (l'université du peuple!) ou dans les voitures de citoyens anonymes.

Ah, c'est vrai, la manif n'est pas que dirigée contre la brutalité des flics. Elle concerne aussi, si je me fie à l'écho de la foule, la société capitaliste.

Tiens, il y a cette photo superbe sur le site de Radio-Canada. Un type, dans la manif, distribue un journal, Le Drapeau rouge. Il porte un bandana rouge qui lui cache les cheveux. Un foulard tout aussi rouge, marqué de la faucille et du marteau soviétiques, cache son nez et sa bouche. On dirait un Zorro communiste.

La manchette du journal Le Drapeau rouge, que Zorro tient dans ses mains: «Le printemps anticapitaliste commence maintenant.»

Bon. Mettons que cette manif contre la brutalité du SPVM est en fait un message subliminal contre ces capitalistes qui oppriment le prolétariat. Mettons.

Je repose donc les mêmes questions, camarades...

Pourquoi Pizza Ben?

Parce que la pizza est fondamentalement hostile au bolchevisme?

Pourquoi Le Châtelain?

Parce qu'on y abrite des penseurs du néolibéralisme moderne?

Pourquoi le complexe des sciences de l'UQAM?

Parce que les biologistes sont des collabos du Grand Kapital?

Pourquoi les voitures de citoyens, rue Sainte-Catherine?

Parce que ce n'était pas des Lada?

En quoi les trucs auxquels vous vous êtes attaqués sont-ils des symboles de l'oppression néolibérale mondialisée?

Pizza Ben! Je suis déjà allé engloutir, un soir de fin de brosse, une pointe pepperoni-fromage chez Pizza Ben. On est loin de Pizza Hut, les amis, côté symbole capitaliste. Mon souvenir est un peu flou, mais je me souviens d'immigrés, arabes, je crois. La porte d'entrée de la grande aventure de bien des immigrés en Occident: un petit business de livraison de bouffe...

Je ne vais pas vous donner des suggestions, camarades, mais il y a des vitrines autrement plus symboliques à casser que celle de Ben Pizza, merde. On dirait que vous êtes trop lâches pour le faire. Alors vous vous rabattez sur l'UQAM. Et sur les fourgonnettes des gens.

Ai-je dit lâches? Pardon, incultes est peut-être plus juste.

On dirait que votre manif antiflics et anticapitaliste, c'est surtout l'occasion d'un petit party où on casse des trucs, au hasard, selon la courbe aléatoire de vos randonnées dans la ville. C'est amusant, de casser des trucs. Surtout quand ce ne sont pas les vôtres. On pense à Franz Ferdinand: «What's wrong with a little destruction...»

Zéro cohérence. Zéro discours. Zéro intelligence tactique et symbolique.

C'est du calibre de la manif de troisième secondaire qui dénonce la bouffe de la cafétéria de la polyvalente.

Vous vous prenez pour le Che, mais vous êtes des tatas sans envergure. Et, chaque fin d'hiver, vous en faites la preuve avec une constance et un acharnement absolument exemplaires.

Bravo. Vraiment, bravo.