William Goldman est scénariste. Il a gagné deux Oscars: le premier pour Butch Cassidy et le Kid et le second pour Les hommes du président. Pourtant, il est surtout connu pour une phrase, toute petite, utilisée pour décrire la recette du succès à Hollywood: «Nobody knows anything.»

Traduction: personne ne sait rien.

Signification: dans ce business du divertissement, le succès est aléatoire. L'échec aussi. Et tout tient debout, tout le système, sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ou comment.

 

Tous ces chefs de studio, tous ces puissants agents, tous ces acteurs aux ego démesurés, ils ne savent rien, au fond.

Tous ces films oscarisés, ces séries qui rapportent des millions en DVD? Des hasards. Des accidents. L'air du temps, peut-être.

Nobody knows anything. Personne ne sait rien.

C'est peut-être plus qu'une boutade qu'a lancée William Goldman. Peut-être est-ce (roulement de tambour) la phrase la plus importante de toute l'histoire de l'humanité, qui sait.

Il y a un an ou deux, notre économie roulait rondement, toujours plus haut, toujours plus loin. Triomphante, bien sûr. Un modèle. Moins d'État, plus de liberté; le capital crée de la richesse, la richesse crée du capital. Surtout, surtout: fichez la paix au capital.

Il ne fallait surtout pas entraver la liberté des capitaux. Aux États-Unis, ça voulait dire prêter 700 000$ à des ouvriers mexicains pour acheter la maison de leurs rêves. «No questions asked...»

Prenez l'Islande. L'Islande, jusqu'à récemment, était riche. Récemment riche. Personne ne comprenait tout à fait pourquoi. On a libéralisé. On a privatisé. En quelques années, l'Islande est passée d'une gestion Le temps d'une paix» à une gestion 24, côté financier.

Ses trois banques sont devenues des modèles, le pilier de la création de richesse de cette île de l'Atlantique Nord, qui compte moins d'habitants (mais plus de geysers) que Laval.

Les industriels islandais se sont lancés à la conquête du monde. La couronne islandaise, tellement forte, a permis aux nouveaux millionnaires de faire des emplettes qui à New York, qui à Londres.

Et le monde lui-même a déposé en masse dans les banques islandaises. Grâce à ces 14% d'intérêts (à cause de l'inflation) payés par les banques, 300 000 Britanniques avaient mis leurs avoirs au pays de Björk. Il ne faut pas entraver le capital, rappelez-vous.

À l'humanité qui voulait connaître la recette du succès du modèle islandais, le président Olafur Ragnar Grimsson a donné une explication(1), en 2006. Il a expliqué que si son petit pays achetait des compagnies aériennes et des chaînes de magasins européennes de façon si, ma foi, intrépide, il fallait regarder dans le passé de l'Islande.

«Les Islandais ont la profonde conviction que ceux qui s'aventurent dans des territoires inconnus gagnent l'honneur.»

Bref, le vieux fond viking de l'Islandais expliquait ce PIB gonflé aux stéroïdes.

C'était, bien sûr, de la bullshit absolue. De l'ésotérisme.

Les banques islandaises, quand le système financier s'est écroulé, dans la foulée de la chute de Lehman Brothers, n'étaient soudainement plus ces virils Vikings conquérant l'univers. Elles se sont écrasées.

Et, avec elles, l'Islande. Qui a annoncé ne pas être sûre de pouvoir honorer les dépôts faits dans ses banques. Qui a reçu l'aide du Fonds monétaire international pour joindre les deux bouts, récemment, comme une bonne vieille république de bananes.

Personne n'avait prédit l'écroulement du Viking. Encore là: personne ne savait rien.

Un de mes phares en matière économique s'appelle Thomas Friedman. C'est probablement, à l'heure actuelle, le journaliste le plus influent de la planète. Chroniqueur aux affaires internationales du New York Times, son livre, The Lexus and the Olive Tree, a expliqué à des millions de personnes comment fonctionnent les rouages de la mondialisation. Comment le capital, lorsqu'on lui fout la paix, est un véritable engrais à richesse collective.

Friedman comprend comment fonctionne l'économie mondialisée. C'est clair. Et il l'explique avec brio.

Mais lui non plus, n'a rien vu de la crise qui s'annonçait. Ni Lehman Brothers, ni les papiers commerciaux, ni l'Islande. Ne savait rien, lui non plus.

Prenez Henri-Paul Rousseau. Quand il a quitté la direction de la Caisse de dépôt et placement, nous étions tous pâmés. Ou presque. Les éloges fusaient de toute part: ému, j'ai personnellement pensé à organiser un téléthon pour lui payer une statue de bronze devant la CDP.

Or, quelques mois après, que nous dit M. Rousseau, devant la disparition de 40 milliards? Qu'il ne savait pas tout. Qu'il ne savait pas qu'une tempête parfaite se profilait à l'horizon. Il est financier. Pas présentateur à MétéoMédia.

Monique Jérôme-Forget, ministre des Finances, ne savait pas, pendant la dernière campagne électorale, que la Caisse allait présenter un bilan catastrophique. Surprise to-ta-le! Il n'y a, en fait, que Mario Dumont qui savait.

Elle ne savait pas non plus que les finances de l'État allaient se désagréger au point de créer un déficit budgétaire. Remarquez, le ministre des Finances fédéral ne le savait pas plus, l'automne dernier, quand son gouvernement était en campagne. Ce gouvernement qui se moquait de ceux qui évoquaient des déficits...

Tous les génies qui nous gouvernent, tous les capitaines d'industrie qui guident notre économie, tous les analystes économiques, toutes les agences de crédit, toutes les banques centrales, toutes les stars du journalisme économique: ils ne savaient pas.

Aux États-Unis, on parle de tellement de milliards lancés dans l'économie en panne que, je crois, nous sommes rendus à parler de billions. Au Canada, le gouverneur de la Banque centrale parle même d'imprimer de l'argent en masse, si l'économie ne repart pas.

Cela va-t-il marcher?

Hé, hé. Je sais une chose: ils ne le savent pas plus que vous et moi.

Le système roule tout seul. Et des fois, il plante tout seul. Qu'on ne nous fasse pas accroire qu'il ne va pas, aussi, repartir tout seul.

Comment je sais? Je sais, c'est tout.

(1) Cité dans le New Yorker de cette semaine, dans l'article intitulé «Lost».