Le problème avec les squelettes, c'est que des fois, ils sortent du placard.

On a beau pousser très fort sur la porte, on a beau mettre un Chesterfield devant, des fois un squelette s'échappe.

Et c'est un sacré squelette que brandit Ken Pereira, en décrétant que la FTQ ferme les yeux sur des apparatchiks qui font la fiesta grâce aux cotisations des membres.

Ken Pereira est l'ancien président d'un syndicat affilié à la FTQ-Construction. Il a fait des révélations explosives à l'émission Enquête, de Radio-Canada, hier soir. Révélations dont on a su les grandes lignes, mercredi soir.

 

Pereira est un témoin difficile à contredire. Il a des documents. Trente-quatre rapports de dépenses et 109 factures de restaurant soumises par Jocelyn Dupuis, ex-directeur général (pendant 11 ans) de la FTQ-Construction.

Des factures à faire dresser les cheveux sur la tête, des factures d'un type qui a le train de vie d'un joueur du Canadien. À la différence que le joueur du CH paie ses bouteilles de vin avec SON fric.

Donc, selon les documents de M. Pereira, c'est 125 000$ que la FTQ-Construction a remboursés à son directeur général. En six mois. Dans des restaurants, prestigieux ou pas.

M. Dupuis dit que l'exécutif de la FTQ-Construction a approuvé les dépenses.

C'est drôle, hein, d'entendre de la bouche d'un syndicaliste les mêmes défenses niaiseuses qu'un PDG de Wall Street «pogné», disons, à facturer des dépenses personnelles à la compagnie?

Le PDG requin dit: «Le conseil d'administration l'avait approuvé!»

Le syndicaliste requin dit: «L'exécutif l'a approuvé!»

Qui nomme le conseil d'administration?

Qui nomme l'exécutif?

Les copains des boss, généralement.

J'ai blogué la bombe d'Alain Gravel et de Marie-Maude Denis, hier soir, avant que Denis Lessard, de La Presse, n'en rajoute avec cette enquête criminelle de la SQ visant les Hells Angels, qui auraient des liens avec la FTQ-Construction, pour faciliter le blanchiment d'argent sale. C'est ce qui aurait poussé la FTQ à pousser à la retraite Dupuis et son président, Jean Lavallée.

Après avoir lu mon blogue, une lectrice de Gatineau m'écrit. C'était la fête d'une copine, l'an dernier, raconte-t-elle. Nous étions six. Nous arrivons au restaurant Cavalli. La table que nous désirions n'est pas libre. Un client fait libérer la table à côté de la sienne: les six dames pourront y prendre place. Et le client, très généreux, de faire apparaître sur la table des six femmes trois bouteilles de vin. «Du Brunello, à 350$ chacune. Et une bouteille de champagne Veuve Clicquot.»

Le client, c'était Jocelyn Dupuis, ont-elles su à la fin, quand il s'est présenté à leur table.

«Je dois dire qu'il a été extrêmement poli et courtois. Et il a quitté le restaurant avec l'homme qui l'accompagnait, bien avant nous, sans attente ni rien.»

Le Cavalli, comme l'a rapporté Radio-Canada, est ce restaurant de la rue Peel où Dupuis a dépensé 24 000$ en six mois. Dépenses remboursées par la FTQ-Construction.

Voilà qui devrait faire danser de joie les syndiqués de la FTQ-Construction, les gars qui travaillent sur des chantiers. Et qui mangent généralement ce qu'ils ont préparé dans leur boîte à lunch. Vos cotisations syndicales, les boys, ont bien nourri le DG Dupuis.

Selon ce que Ken Pereira a dit à Alain Gravel, il a tenté d'alerter la FTQ, qui chapeaute la FTQ-Construction, de ces excès. Il en a avisé Michel Arsenault, le président de la FTQ. Celui-ci lui a dit que la centrale allait s'en occuper, à l'interne. Sauf que ce qui s'est surtout passé, c'est que Pereira, pour sa peine, a été ostracisé. Et la FTQ a couvert le cul de Dupuis.

C'est dans les moeurs, à la FTQ. Pensez au syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal, le fameux local 301 du SCFP, un autre sympathique syndicat chapeauté par la FTQ.

Les chefs du 301 font régner la terreur au sein même de leurs membres. Les dissidents sont harcelés. Ceux qui se présentent contre l'équipe politique de Michel Parent (président actuel) et de Jean Lapierre (ex-président, toujours présent) sont ostracisés. Quatre d'entre eux sont poursuivis en diffamation, au civil, par le duo Parent-Lapierre, pour plusieurs centaines de milliers de dollars. Une poursuite financée par le syndicat, par l'argent des syndiqués.

Bref, des horreurs, documentées, certifiées.

Que pense la FTQ de cela?

Officieusement, on nous chuchote que ça dégoûte les bonzes de la FTQ.

Officiellement, personne ne parle. J'ai tenté, il y a quelques semaines, après cette histoire de harcèlement psychologique dont Lapierre a été reconnu coupable, d'avoir une réaction de Michel Arsenault. Il m'a dit la même chose qu'il a fait dire à mes collègues Gravel et Lessard: «Pas de commentaires.»

Le même discours qu'Henri Massé, avant lui.

Massé, très fort en gueule pour pourfendre l'État, un sacré pleutre pour contrôler les brutes oeuvrant dans ses rangs...

À la fin, le silence institutionnel des bonzes de la FTQ face aux excès qui se déroulent dans ses syndicats affiliés ressemble à de l'aveuglement volontaire. Et c'est la charité chrétienne qui m'empêche de parler de complicité.