Dès 2h du matin, des lecteurs ont réagi à la nouvelle. Dès 2h, des lecteurs disaient: «Ouain, on s'attendait à plus gros que ça!»

Plus «gros» ?

Attendez. Je me pince. Dors-je? Non, je suis bien éveillé. Alors qu'est-ce que j'ai raté? Ah, j'ai raté la bulle de folie qui s'est emparée de Montréal, jeudi soir.

 

Normal. Jeudi soir, avec Caroline Touzin et André Cédilot, j'étais dans une autre bulle. Nous rédigions, à trois, ce papier que vous avez pu lire dans La Presse hier: un criminel arrêté dans une frappe policière contre le crime organisé, la semaine passé, est un grand ami de deux joueurs du Canadien de Montréal.

Nous étions dans notre bulle. Pas évident d'écrire à trois. On secoue nos calepins de notes, on fait des recoupements, on vérifie et on vérifie encore. Puis on écrit. Le boss relit. Il dit O.K. Quelque part avant 22h, posément, on appuie sur SEND.

J'ai compris plus tard pourquoi notre scoop a déçu bien des gens. La mécanique de la rumeur, des demi-vérités et des supputations roulait à 200km/h pendant que Touzin, Cédilot et moi gossions sur cette histoire. La télé, la radio, les blogues, le téléphone arabe: une bulle cacophonique gonflait au-dessus de la ville...

Si vous pensiez qu'Élisabeth II fait des douceurs aux joueurs du CH entre les périodes, si vous pensiez que Mom Boucher s'évade de sa prison pour fournir de la coke aux joueurs, si vous pensiez que les joueurs du CH se sont filmés en train de préparer un attentat dans le métro, alors là, bien sûr, notre scoop n'est pas si gros...

Notre scoop, c'est «seulement» ceci: un type arrêté dans une vaste frappe policière contre le crime organisé, un type soupçonné de trafic de drogue, un type soupçonné d'agir au nom du chef emprisonné d'un gang de rue, avait des contacts quotidiens avec deux joueurs de hockey professionnel.

Désolé si vous vous attendiez à plus.

Et non, on ne parle pas de joueurs photographiés dans un bar, à boire des B-52 dans le décolleté d'une charmante amazone.

On parle de renseignements venus aux oreilles de la police dans le cadre d'une enquête criminelle, par écoute électronique, notamment.

* * *

La game, quand on est journaliste, c'est ce qu'on peut prouver. On peut avoir les opinions qu'on veut. Mais il faut pouvoir prouver ce qu'on avance.

Ici, dans le cas qui nous occupe, la game c'est de sortir un scoop et de voir Bob Gainey aller en conférence de presse sans jamais, jamais, jamais nier l'histoire. Il a été prudent, oui. Mais il n'a pas nié. Il n'a pas donné de mise en échec à La Presse.

Le reste, c'est de la «broue».

Le Canadien, au Québec, c'est sacré. Ici, on touche au sacré. On touche à la religion. Ce club est profondément ancré dans la culture, dans les souvenirs, dans les entrailles de millions de personnes. J'en suis. Mon gars n'a pas été baptisé, il décidera tout seul de sa relation avec la religion. Mais à Noël, je lui ai donné un chandail du CH. Je fais du prosélytisme avec lui, eh oui, mauvais père que je suis...

C'est parce que nous sommes dans le sacré que les gens nous envoient des bêtises depuis hier pour avoir osé toucher au Canadien de Montréal. Pas grave. J'ai l'expérience. Au JdeM, j'avais travaillé à sortir l'histoire du passé criminel du commandant Piché. Les insultes étaient encore plus virulentes. Ça passe.

* * *

Revenons à la broue, justement. C'est sans doute parce que nous aimons passionnément ce club - parce que le Rocket, parce que le Démon blond, parce que 1993, parce que le hockey est ici culturel autant que sportif - que tout le monde a pris peur cette semaine, avec les rumeurs, avec les cancans, avec les demi-vérités.

On me dit qu'à CKAC-Sports, hier, des mauvaises langues se faisaient aller contre La Presse. Un peu fâchés de vous faire scooper sur la glace du sport, les amis? Et de grâce, pas de leçons sur les rumeurs et l'information, O.K.? On pourrait se rendre jusqu'à la Lune en mettant bout à bout les rumeurs que vous mettez en ondes, par exemple, le jour de la date limite des échanges dans la LNH.

Et trois pages, c'est trop pour parler des liens entre un criminel accusé d'agir pour le crime organisé et deux joueurs du Canadien? C'est trop, vraiment?

Moi, ce que je trouve de trop, parfois, quand je me pince, c'est justement toutes ces pages, ces camions-citernes de salive médiatique qu'on gaspille pour un club qui n'a pas gagné la Coupe Stanley depuis 1993.

Normal que, quand un bandit rôde autour du club sacré, on fasse plus qu'une brève en page 22.

Nous qui avons le privilège d'une tribune, d'un micro, d'un espace dans un journal, nous avons une responsabilité. Celle de ne pas dire d'âneries. Et jeudi, il s'est dit des folies. On a créé des attentes. On a laissé entendre, sur le web, à la télé et à la radio, que La Presse s'apprêtait quasiment à pulvériser le Canadien avec ses révélations...

Et Untel de dire: «Il y a plus!»

Et son voisin de dire, catastrophé: «Il y a mille fois plus!»

La game, quand on a le privilège d'une tribune, c'est de départager le vrai du faux. De faire la différence entre rumeurs et vérité.

Quand on a une info solide, on publie, on diffuse.

Et quand on n'en a pas, savez-vous ce qu'on fait? On ferme sa gueule.