L'autre jour, Mahmoud I. Musleh nous a reçus pour jaser autour d'un café. Musleh est député du Hamas au Conseil législatif palestinien. Un des 74 élus du parti.

Je dis nous: il y avait là mon ami Jorn De Cock, le journaliste flamand, dont je vous parlais récemment.

Le Hamas, c'est trois choses, principalement: un parti politique (vainqueur des législatives de 2006); un mouvement social (qui gère des hôpitaux, des foyers de vieux, des écoles) et un groupe terroriste (qui se décrit comme un mouvement de libération).

Évidemment, le Hamas est surtout connu pour la portion terroriste de sa vocation.

Les kamikazes qui se sont fait exploser dans des cafés et des bus, c'est le Hamas (mais pas seulement lui).

Les clauses antisémites dans la charte politique, c'est le Hamas.

Les milliers de roquettes lancées sur Israël depuis 2001, à partir de Gaza, c'est le Hamas.

Et l'attaque d'Israël à grands coups de missiles Hellfire, de F16, de tanks Merkava et, selon toute évidence, de bombes au phosphore, c'est pour réprimer ces attaques de roquettes qui ont semé la panique aux abords de Gaza (la proximité d'une élection législative israélienne, dans un mois, n'y serait pour rien...).

«Les roquettes lancées sur Israël ont forcé 500 000 sionistes à se réfugier dans des bunkers. Elles affectent la vie économique. Et elles font sentir aux Israéliens ce qu'est l'insécurité. Les roquettes ont créé un sentiment égal d'insécurité...»

Le coeur me lève un peu, ici. Un civil, c'est un civil. Blanc, Noir, Palestinien, Israélien, qu'importe. Un innocent, c'est un innocent. Non? Alors, je commence:

- Ne diriez-vous pas que ces attaques sont contre-productives, stupides et...

- ... et idiotes, a poursuivi mon ami Jorn.

M. Musleh ne parle pas anglais. Mais il comprend des mots comme «stupid» et «silly». Le vieux barbu nous fait de gros yeux. Le traducteur me demande si c'est moi qui ai dit que ces attaques à la roquette sont idiotes. Jorn: «Non, c'est moi...»

Bref, le ton était donné. Vingt fois, dans l'entrevue, Mahmoud I. Musleh a repris «stupide et idiot» dans ses exemples, dans son plaidoyer pour le «droit de résister à l'occupant», un droit «qui n'exclut aucun moyen».

«Rien, dans la résistance, n'est stupide ou idiot...»

«Ces roquettes, si stupides et idiotes soient-elles, ont augmenté l'appui à la cause palestinienne dans le monde...»

«Les États sont contre nos roquettes stupides et idiotes, mais personne ne dit rien contre les bombes criminelles d'Israël qui tombent sur Gaza. Deux poids, deux mesures.»

Voter, pour, voter contre

Le Hamas est un mouvement islamiste, sauce iranienne. Il rêve d'instaurer un État islamique en Palestine. Il a gagné les élections législatives palestiniennes de janvier 2006, un scrutin jugé juste par des observateurs internationaux.

Donc, les Palestiniens, en élisant 76 députés du Hamas sur 132, dans les 16 circonscriptions de Gaza et de Cisjordanie, rêvent d'un régime calqué sur, par exemple, l'Iran, non?

Ce n'est pas si simple. Le Hamas a gagné, oui. Mais cette victoire, c'était aussi la consécration d'un ras-le-bol face au Fatah, le parti du président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, parti créé par Yasser Arafat.

Primo: Yasser Arafat a signé les accords d'Oslo, en 1994. Enclenchant le fameux «processus de paix». Or, c'est précisément depuis Oslo que, selon les Palestiniens, l'occupation israélienne est devenue plus dure, plus présente dans leurs vies, avec la multiplication des «check-points» et des colonies juives.

Deuzio: le Fatah est un parti qui a érigé la corruption en mode de gouvernance. Les amis du pouvoir, sous Arafat, se sont allégrement graissé la patte. Arafat, à sa mort, possédait plus de 200 comptes de banque à l'étranger: il est mort milliardaire. Il utilisait son fric pour asseoir son autorité, acheter la loyauté, secourir directement les Palestiniens qui lui demandaient des sous *.

Bref, pendant qu'Arafat achetait l'étoffe pour construire sa légende - avec l'argent de la diaspora palestinienne et de la communauté internationale - les écoles, les hôpitaux, les services culturels de l'infrastructure palestinienne naissante, eux, criaient famine.

Il se trouve des gens, ici, pour dire qu'en janvier 2006, les Palestiniens n'ont pas voulu faire entrer Allah au gouvernement. Il se trouve des gens pour penser que les Palestiniens, en janvier 2006, ont fait ce que les Occidentaux font si souvent: ils ont voté contre un parti, bien plus que pour un autre.

L'ennemi de mon ennemi

On redemande à Musleh si ces attaques à la roquette ne sont pas contre-productives. D'abord, elles ne font pas mouche bien souvent. Ensuite, elles ont poussé Israël à pilonner Gaza.

Le parlementaire a répondu à côté de la question: la société israélienne est une société militaire. L'État israélien est un État militaire. «Quand l'ennemi cible les civils, il faut injecter la peur dans son coeur.»

Si les Israéliens pensaient faire peur aux Palestiniens en frappant le Hamas - et tout ce qui se trouve autour -, ils sont joyeusement dans le champ. Le Hamas jouit d'une popularité accrue. À Ramallah, un boutiquier, Mahmoud Makhlouf, m'a dit un truc 100 fois entendu, en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est. «Le Hamas résiste à l'occupant, c'est la première vraie guerre avec l'occupant. Le Hamas gère bien la situation.»

Même des partisans du Fatah, suspicieux face aux islamistes du Hamas, applaudissent les «résistants». La vieille équation: l'ennemi de mon ennemi est mon ami.

Mahmoud Musleh, mains dans les poches, a répété, encore une fois, j'oublie à propos de quoi, les mots «stupide et idiot».

Finalement, lui ai-je soumis, malgré la destruction, malgré les morts, malgré le bordel sinistre à Gaza, le Hamas est heureux: il gagne des fidèles en se frottant à Israël. Il n'a peut-être pas l'avantage moral qu'avaient les ados de la première Intifada de 1987, menée à coups de pierres. Mais il fait passer Israël pour un État qui tue des femmes et des enfants à Gaza avec des bombes au phosphore.

L'interprète a traduit mon observation à Mahmoud Musleh. Le vieil homme a hoché la tête. Il a répondu en quelques mots.

Puis le traducteur a répondu: «Il ne conteste pas ce que vous venez de dire.»

* Atlantic Monthly, septembre 2005: How Yasir Arafat destroyed Palestine, disponible sur Google.