La scène est poignante: des soldats israéliens tirent des balles (de plastique) sur des Palestiniens qui manifestent en lançant des pierres. Une jeune femme se plante alors devant un soldat israélien. Pour l'empêcher de tirer.

On la voit se déplacer au même rythme que le soldat chargé de tirer ces balles, inlassablement. Comme une joueuse de basket qui se met entre la tireuse et le panier.Elle tente de le raisonner, en anglais: «Pourquoi tires-tu? Ce sont des enfants!»

Son manège empêche le soldat de tirer ses balles de plastique, généralement non mortelles. On entend d'autres soldats de Tsahal tirer pour disperser la foule de Palestiniens (pas seulement des enfants!) venus lancer des pierres aux soldats.

Depuis quelques jours, les internautes parlent de plus en plus de cet extrait d'un reportage de la télévision coréenne, déterré sur YouTube. La jeune femme, pour certains internautes, est devenue la «brave Palestinienne».

La scène est sur mon blogue, à cyberpresse.ca/lagace. Et comme tout ce qui touche Israël et la Palestine, disons que le clip de la «brave Palestinienne» a mis le feu aux poudres dans la section réservée aux commentaires...

Je l'ai retracée, hier. Elle s'appelle Huwaida Arraf. Elle est née aux États-Unis il y a 32 ans d'un père arabe israélien et d'une mère palestinienne. Elle vit à Jérusalem, où elle enseigne à la seule université arabe de la ville, Al-Qods.

«On m'en parle depuis quelques jours, de ce reportage. C'était en janvier 2008, à Kharbatha, en Cisjordanie. Les Palestiniens protestaient contre la construction de la route 443. C'est une route réservée aux Israéliens, construite sur des terres appartenant aux Palestiniens, une route qu'ils ne pourront utiliser.»

Mais que fichait-elle là, devant ce soldat?

C'est que Huwaida Arraf est cofondatrice de l'International Solidarity Movement, un groupe pro-Palestine qui combat l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie par des actions décrites comme pacifiques et non violentes.

«Ce n'était pas la première fois que je faisais ça, me planter devant un soldat pour l'empêcher de tirer. Parfois, les soldats m'engueulent ou me bousculent. J'essaie de les forcer à regarder les Palestiniens sur qui ils tirent comme des humains, pas comme des cibles.»

ISM résiste pacifiquement en faisant de l'obstruction, comme Huwaida Arraf l'a fait à Kharbatha. La routine, c'est de se mettre devant des soldats ou des véhicules militaires, pour les empêcher de faire leur boulot. S'interposer, quoi. En se disant que les soldats ne voudront pas faire de mal à des citoyens de pays occidentaux dont la mort résonne plus fort à CNN que celle d'un Palestinien, disons...

Sauf que la résistance pacifique en territoires occupés est un sport dangereux. En 2003, deux bénévoles de ISM ont été tués en se frottant aux soldats israéliens: l'un par balles, l'autre, écrasée par un tracteur militaire. Dans les deux cas, Tsahal a soutenu qu'ils s'agissait d'un accident. En 2002 et 2003, deux autres bénévoles ont été gravement blessés par balles. L'armée a plaidé l'accident; l'État hébreu a versé un dédommagement à l'un d'eux, défiguré.

Quand j'ai joint Huwaida Arraf, elle était à Chypre. Aujourd'hui, avec d'autres membres de ISM, elle quitte Chypre à bord d'un bateau, le Dignity, à destination de Gaza. Les militants vont tenter de faire accoster leur bateau «rempli de matériel médical» à Gaza. Sauf qu'il est à peu près certain que la marine israélienne va bloquer le chemin de Huwaida Arraf et de son équipage.

De toute façon, les militants gagnent: 1) s'ils entrent à Gaza, c'est un coup fumant; 2) s'ils se font barrer la route, c'est un prétexte pour dénoncer le blocus de Gaza par Israël; et 3) s'ils se font barrer virilement la route, par exemple par un navire de l'État hébreu qui tamponnerait le Dignity, eh! bien, c'est encore mieux.

Je soupçonnais presque Mme Arraf d'espérer ce troisième scénario, hier.

«Si Israël fait preuve de violence envers nous, il faudra que tout le monde comprenne que c'est une attaque préméditée.»

Greenpeace, sors de ce corps...

L'eau de Javel et Al-Jazira

Je l'écrivais sur mon blogue, l'autre jour, avec un peu de surprise dans le clavier: Al-Jazira (la chaîne anglaise)? Du bel ouvrage. Une couverture juste du conflit.

Le «CNN arabe», si souvent décrié par les Américains, qui le tiennent pour un instrument de propagande anti-forces du Bien, offre le point de vue des forces du Mal, euh, pardon, arabe des événements. Mais depuis que je suis les reportages de la chaîne, je ne sens pas qu'on me prend pour un hamster tenant une zapette. À FOX, patriotisme à gogo sauce Rambo oblige, je sens qu'on me prend pour un hamster à zapette.

Par ailleurs, deux morceaux de robot à Al-Jazira, qui opère de Gaza: on nous montre la guerre dans toute son horreur. Avec les cadavres. Avec le sang. Avec les larmes. La guerre, quoi, la guerre qu'on ne passe pas à l'eau de Javel.

Je ne suis pas seul à trouver qu'Al-Jazira travaille bien. Gideon Levy, chroniqueur du quotidien Haaretz, a consacré sa colonne d'hier au boulot de la chaîne et d'un de ses reporters, Ayman Mohyeldin.

Eh! oui, Gideon Levy, juif, israélien, qui critique Israël. Un ennemi de l'État hébreu, sans doute...

Notons qu'on ne capte pas Al-Jazira au Canada - sauf par satellite ou sur le web. Ni aux États-Unis. Quand on voit la m... en spray qu'on nous sert sur les 600 chaînes de la tivi, J'ai vraiment envie de croire à quelque théorie du complot.