- Ce qui frappe le visiteur, ici ?Les guns, bien sûr.J'ai vu plus d'armes en une journée à Jérusalem-Est et à Ramallah, hier, que dans toute ma vie.

D'abord, le gars à qui je demande des directions, derrière la grille du palais de justice de Jérusalem, porte en bandoulière ce qui ressemble (d'après ma culture limitée en la matière) à un fusil-mitrailleur Uzi. Sa collègue aussi.

Au Government Press Office, le gardien de sécurité a un fusil à la ceinture.

Puis, à Ramallah, les gardiens de sécurité de l'Autorité palestinienne, immanquables, sont en arme, eux aussi. Quel type d'armes? De grosses mitraillettes.

Au checkpoint qui contrôle les entrées et sorties de Ramallah, la petite soldate israélienne qui vérifie mes papiers n'a pas 22 ans. Son fusil d'assaut est plus grand qu'elle (OK, j'exagère, mais à peine).

Entrevue en après-midi à Ramallah, où se trouve le siège de l'Autorité palestinienne. Ayman H. Daraghmeh, un des 132 députés du Conseil législatif palestinien, aligné sur le Hamas. Il a un doctorat en chimie. Sur ses cartes d'affaires, sur la plaque de son bureau, il se fait appeler Dr Ayman H. Daraghmeh.

«Les conditions de la trêve étaient claires. Les frontières devaient être ouvertes par Israël, qui devait cesser les assassinats. Israël n'a pas respecté la trêve.

- Et ces roquettes, Dr Daraghmeh, tirées par le Hamas sur Israël...

- C'est de l'autodéfense. Le blocus de Gaza, depuis des années, est un acte de guerre. On tue les gens par strangulation...

- C'est une guerre ?

- C'est une guerre menée par Israël. Ils l'ont commencée, en rendant nos vies invivables, en isolant et en assiégeant Gaza... »

Bref, pas de scoop ici. Ce porte-parole du Hamas m'a répété ce que le Hamas crie à l'univers depuis le 27 décembre : ces roquettes, c'est de la légitime défense.

Nous sommes ici dans une guerre qui oppose, ironiquement, deux victimes. Qui se tapent dessus en légitime défense. Qui ne cherchent que la paix mais, que voulez-vous, l'autre camp est assoiffé de sang, alors il faut bien se défendre...

D'un côté, des Palestiniens qui se défendent en lançant au hasard des roquettes artisanales fabriquées grâce à des pièces détachées qu'on fait entrer par des tunnels, via l'Égypte. Ces roquettes ont beau pleuvoir par centaines sur Israël, elles font peu de victimes, statistiquement. Mais au son des sirènes d'alarme, elles sèment la terreur chez les civils, d'Ashkelon à Sederot.

De l'autre côté, des Israéliens bien armés, appuyés par une machine militaire ultramoderne, qui peut lancer des missiles sur des voitures ou des bombes de 1000 livres sur des buildings, pour éliminer ce que l'État hébreu appelle des terroristes.

Il y a des sans-abri par milliers, à Gaza, dit-on. La Croix-Rouge a envoyé de ces sans-abri dans une école gérée par l'ONU. L'ONU, la Croix-Rouge, peut-on être plus en sécurité que sous ces deux drapeaux ? Eh bien, non. Hier, boum. Une bombe israélienne est tombée sur l'école. Bilan : 30 morts, selon certaines sources ; 40, selon d'autres.

Qu'importe le nombre, les scènes sont atroces. Dans un resto de Jérusalem, hier soir, l'écran géant était sur Al-Jazeera, qui montrait du sang sur les trottoirs, des enfants morts, des parents qui hurlent, des médecins qui s'affairent, de la rigor mortis à profusion.

L'ONU jure avoir donné les coordonnées de l'école à l'armée, pour l'épargner.

Réaction d'Israël : les terroristes utilisent les civils pour se cacher.

On dit que la vérité est la première victime de la guerre. C'est vrai. La « bullshit » est sa première championne, aussi. Roquettes d'autodéfense ; missiles guidés sur une école de l'ONU : tout cela est justifiable et raisonnable quand on est une victime en état de légitime défense...

Le restaurant était presque vide. Derrière moi, deux Français de France-Inter. Au fond du resto, quelques Palestiniens regardaient Al-Jazeera, le CNN qatariote. Pour moi, de temps à autre, ils changeaient le poste, pour que je regarde la chaîne anglaise d'Al-Jazeera.

Le serveur, dans sa chemise blanche immaculée, m'a demandé, dans son anglais cassé :

- Vous entendez ?

- J'entends.

- Vous voyez ?

- Je vois.

- Pourquoi le monde ne dit rien?

- Le monde proteste, mon gars, le monde ne fait que ça, protester...

Mon serveur, Anwar, se pose une sacrée bonne question. Anwar, qui a cinq enfants, se demande surtout ce que foutent les Arabes de la région. Dans ses rêves les plus fous, il aimerait voir l'armée égyptienne aider les Palestiniens attaqués. Mais il se contenterait bien de quelques taloches diplomatiques, aussi...

«Les chefs arabes, ils disent toujours qu'ils aiment les Palestiniens. Ils reprochent toujours aux Israéliens la façon dont nous sommes traités, ici. Mais ils sont où? Pourquoi ils ne viennent pas nous aider ? Pourquoi ils ne font pas comme le Venezuela, qui a expulsé l'ambassadeur d'Israël?»

Seuls trois pays musulmans ont des liens diplomatiques avec Israël: la Mauritanie, la Jordanie et l'Égypte. Seule la Mauritanie a appliqué des sanctions diplomatiques contre Israël, rappelant son ambassadeur.

«Pourquoi l'Égypte ne fait pas comme le Venezuela? Et la Jordanie?»

J'ai dû dire à mon serveur que je ne savais pas trop quoi dire, n'étant ni président de l'Égypte ni roi de la Jordanie.

La vérité, a-t-il poursuivi, c'est que tout le monde se fiche des Palestiniens. Tout le monde. Les Américains, les Israéliens, bien sûr. «Mais les Arabes aussi. Nous n'attendons plus rien des leaders arabes.»

Anwar ne délire pas. Les dictateurs arabes aiment bien évoquer les Palestiniens pour faire suer Israël ou calmer les islamistes s'époumonant dans les mosquées. Sauf que dans les trois pays où on trouve des réfugiés palestiniens - Liban, Syrie et Jordanie -, ceux-ci sont confinés dans des camps et pas exactement traités comme des VIP...

Il était tard, presque minuit. À Al-Jazeera, un porte-parole de l'ONU disait qu'Israël allait se faire demander des comptes pour le bombardement de l'école.

Anwar a mis les mains sur ses hanches, posé ses yeux sur l'écran géant et sans me regarder, il a lancé : «Parfois, je me dis que les gouvernements arabes veulent que les Israéliens nous tuent...»