Le réveil a sonné, impitoyable, à 8h, hier matin. Louis Champagne, l'increvable animateur matinal de CKRS, était dans tous ses états: «Chantale Bouchard, gagnante dans le sondage. Y croyez-vous? Oui, allô?»

Quinze auditeurs ont appelé. Quinze fois non. Quinze fois on n'y croit pas.

Impossible que Jean-Pierre Blackburn, ministre de Stephen Harper, soit vraiment en train de perdre Jonquière-Alma aux mains d'une bloquiste de 28 ans, originaire d'Alma et avocate à Laval. Im-pos-si-ble!

 

Justement, M. Blackburn était en conférence de presse, hier matin, avec son collègue le député Denis Lebel (Roberval-Lac-Saint-Jean) et le candidat Jean-Guy Maltais (Chicoutimi-Le Fjord).

Une salle bourrée de militants qui ne se gênaient pas pour conspuer les questions jugées subjectives des méchants journalisssses...

Le sondage? «GPS, ça veut dire Groupement pour la souveraineté», a lancé M. Maltais, très pompé, sûr que ce sondage est biaisé.

Applaudissements, bravos et slogans exubérants dans la salle. Méchant contraste avec la manchette du Quotidien du matin, en écho au sondage, qui donnait les trois conservateurs perdants.

M. Blackburn, lui, a conservé sa superbe, rappelant qu'il est ministre, «à la table ovale» du cabinet. «Même M. Champagne l'a dit, ce matin: personne n'y croit à ce sondage.»

Ses promesses? La revitalisation du centre-ville de Jonquière; la réfection du centre sportif Mario-Tremblay (un fils d'Alma); la création d'un centre d'amélioration de la santé comprenant une unité de réadaptation. «Et positionner Jonquière, si le gouvernement décide de créer de nouveaux centres de détention.»

Quatre engagements. Qu'il brandit en même temps que les 247 millions de dollars d'argent fédéral tombés dans la région depuis son entrée dans le cabinet Harper. Message pas subliminal: un ministre au Parlement, c'est payant.

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M. Blackburn a fait un retour inespéré à Ottawa en 2006. Peu de gens le voyaient gagner cette élection dans Jonquière-Alma, fief bloquiste depuis 1993 (quand, après ses deux mandats sous M. Mulroney, il fut noyé par la vague bloquiste bouchardienne).

Surprise: victoire par 7000 voix sur le député Sébastien Gagnon. Avec 10 autres conservateurs du Québec, il a pris la direction d'Ottawa et est devenu ministre du Travail et du Développement économique pour le Québec.

Fait saillant de son mandat: sa décision de sabrer, dès l'an prochain, les subventions aux organismes de développement des affaires. Ces 140 millions, a décidé le ministre, seront distribués directement aux entreprises. Au diable les pousseux de crayon.

La décision a fait bondir beaucoup de décideurs, au Québec. Raymond Bachand, son homologue québécois, a eu des mots anormalement durs pour M. Blackburn, qu'il a accusé publiquement de menacer la santé de l'économie du Québec.

M. Blackburn n'a pas changé d'idée. Il était temps de faire le ménage, dit-il.

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Que dire de Chantale Bouchard? Eh bien, elle est jeune: 28 ans. Ex-présidente de l'aile jeunesse du Bloc. De la politique, elle en mange depuis huit ans. Fille d'Alma. Candidate par défaut: personne ne voulait se frotter à un ministre.

Pourquoi voter pour une kid de 28 ans qui sera dans l'opposition, Chantale?

C'est pas vrai qu'un député de l'opposition ne peut rien faire! M. Blackburn, il est prisonnier de son parti. Il n'a pas aidé les travailleurs forestiers mis à pied, ici. Mais il travaille pour les intérêts de l'Alberta.

Euh, ça veut dire quoi, ça?

Je veux dire, a répondu Mme Bouchard, reprenant impeccablement la ligne bloquiste, qu'il ne s'oppose pas au 2,4 milliards de cadeaux fiscaux aux pétrolières. Les valeurs du PC, ce ne sont pas celles des gens d'ici. Ces élections, ce sont des élections de gauche contre droite.

Et cette décision de couper les vivres aux organismes de développement des affaires, décision qui hante encore M. Blackburn? «Donner directement les chèques aux entreprises, c'est comme Duplessis, lance la candidate. Nous sommes au XXIe siècle!»

Je l'ai suivie chez le concessionnaire GM, au Tim Hortons et au resto du Zellers. Elle allait y faire ce que les politiciens considèrent comme le proverbial «terrain»: serrer la main des citoyens qui sont autrement occupés à réparer une auto, à dérouler le rebord de leur gobelet de café ou à manger un pudding au caramel.

Elle a un sourire à faire fondre un banc de neige, mais elle est un peu timide, la candidate Bouchard. C'est Alexandre Cloutier, le député péquiste du coin, qui la présentait aux gens.

Sa priorité? Garder les jeunes dans le coin, a dit la candidate à une dame, chez Zellers. Pour ça, il faut investir dans la main-d'oeuvre, pour les garder au Saguenay.

Plus tard, dans l'auto, je lui ai demandé pourquoi elle était partie, elle; pourquoi elle travaillait comme avocate à Laval, si c'était si important de rester dans la région.

«J'ai eu une offre de stage impossible à refuser, dans un très bon cabinet. Après, ils m'ont gardée. Mais j'étais sur le point de revenir à Alma pour pratiquer.»

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Ai-je besoin de vous dire que le Saguenay-Lac-Saint-Jean a un indécrottable fond souverainiste? L'association péquiste du Lac-Saint-Jean compte 3500 membres, un record. Les cinq circonscriptions provinciales ont voté PQ. Il y a eu, ici, des majorités de 20 000 voix pour des séparatissssses.

Alexandre Cloutier croit que la carte ministérielle de M. Blackburn a des limites: «Aux élections de 2007, mon adversaire était Yves Bolduc. Il était présenté comme le successeur de Philippe Couillard comme ministre de la Santé. M. Charest est venu dire aux gens de voter pour lui, qu'il allait être ministre.»

C'est Alexandre Cloutier, un jeune avocat relativement peu expérimenté, qui a gagné contre le prestigieux candidat pressenti pour devenir ministre. Par 5500 voix.

Un an et demi plus tard, une jeune avocate relativement peu expérimentée espère maintenant battre un prestigieux ministre et...

Et on verra mardi.

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Le mot de la fin revient à M. Blackburn. Flash-back sur sa conférence de presse d'hier. «Vous savez d'où vient l'Action de grâce? Après les récoltes, les cultivateurs voulaient remercier le ciel, avec cette journée. Lundi, c'est l'Action de grâce. Je crois que j'ai livré les fruits. Et je crois que les gens vont s'en souvenir, mardi!»