Bon, commençons par le commencement, voulez-vous? Commençons par le coût de ce plan de sauvetage de Wall Street par l'Oncle Sam.

On parle ici de 700 milliards de dollars américains.

Gigantesque.

Astronomique.

Inimaginable.

Eh bien! 700 milliards de dollars, c'est le PIB de Taiwan, c'est l'équivalent de la 21e économie du monde. C'est un peu moins que les 829 milliards de dollars US qui circulent en billets et en pièces de monnaie sur le globe.

Je sais, c'est encore confus. C'est encore abstrait.

Vulgarisons: mis bout à bout, 700 milliards de billets d'un dollar US permettraient de boucler les deux tiers de la distance entre la Terre et le Soleil, soit 104 millions de kilomètres. C'est le poids de sept porte-avions américains.

Bon, je vois dans vos yeux que tout ça est encore flou. Je vais essayer de résumer un peu mieux.

Voyez-vous, le problème, c'est le crédit. Les banques n'ont plus beaucoup de fric et hésitent donc à en prêter. La valeur des maisons a chuté, les actifs garantis par les paiements d'hypothèque aussi. Ces actifs ne sont donc plus vendables par les banques. Les institutions financières étouffent.

Elles étouffent tellement que certaines ont dû renier la main invisible du Marché et embrasser celle, pouache-pouache, de l'État, venu à la rescousse de géants comme AIG.

Donc, les banques américaines hésitent à prêter le peu de fric qu'elles possèdent.

Dans une économie basée sur le crédit et des lecteurs DVD à 20$ vendus chez Wal-Mart, autant de 20$ financés par des emprunts sur l'hypothèque de leur maison, les Américains ne peuvent pas ne pas emprunter de l'argent pour financer leur légitime poursuite du bonheur, garantie, comme chacun le sait, dans la Déclaration d'indépendance.

Ce bonheur, comme chacun le sait, est garanti par l'achat de lecteurs DVD à 20$ (mais cela n'est pas dans la Déclaration, car Wal-Mart n'existait pas en 1776) et, jusqu'à récemment, par l'achat de maisons de 200 000$ à un prix de 450 000$, le prix fixé par le marché, lequel marché est toujours clairvoyant et juste.

Donc, pour corriger les excès d'une économie dopée par une bulle immobilière elle-même dopée par du crédit facile que les banques donnaient à leurs clients comme le père Noël distribue des cadeaux aux enfants le 25 décembre, le gouvernement américain a décidé d'appliquer un remède de cheval.

J'ai nommé ces 700 milliards destinés à rétablir l'ère du crédit facile visant à permettre à chaque Américain d'acheter chaque jour chez Wal-Mart un nouveau lecteur DVD à 20$. Et, peut-être, de recommencer à acheter à 450 000$ des maisons qui en valent 200 000$ (sans mise de fonds).

C'est simple, non?

Bon, on se comprend.

C'est pour ça que le président George W. Bush a pris les grands moyens, hier, c'est-à-dire de retarder de 17 minutes la trèèèèès populaire émission America's Got Talent (on parle de talents en chant, danse, comédie, bien sûr, pas de talent en planification financière).

M. Bush, avec toute la conviction qu'on lui connaît, sans doute après avoir jasé avec son ami personnel, M. Jésus-Christ, s'est donc adressé au peuple américain, dans une de ces adresses solennelles qu'adorent les Américains.

«Notre économie est en danger», a-t-il gravement annoncé, avec une sincérité rivalisant avec celle qui le caractérisait avant l'invasion de l'Irak. Puis, le 43e président a assuré le peuple américain que le cul-de-sac actuel était, «selon la plupart des économistes», le fruit de problèmes qui se sont développés depuis 10 ans, liés à l'influx massif de capitaux étrangers dans le pays préféré de Dieu lui-même.

M. Bush, bizarrement, n'a pas mentionné que ces 18 derniers mois, tous les fleurons de son administration rabrouaient les (nombreux) économistes qui osaient affirmer qu'une partie importante de l'économie américaine ressemblait à une sorte de supercherie pyramidale basée sur l'accès trop facile à la propriété et un cadre réglementaire étatique déficient, justement.

Pourquoi M. Bush a-t-il oublié de mentionner cela? Un oubli du technicien chargé de faire défiler le texte de M. Bush sur le télésouffleur, sans doute.

Nous en sommes donc là, à nous demander béatement si 700 milliards collés ensemble peuvent tracer un chemin vers le Soleil. Et si l'économie américaine ne va pas connaître une période noir et blanc rappelant la Grande Dépression.

Bien sûr, on pourrait s'inquiéter. Après tout, si les Américains pognent la grippe, c'est bien connu, le Canada finit par éternuer. Imaginez quand ils font une Dépression: c'est la schizophrénie qui doit bien nous attendre...

Personnellement, je ne vois absolument aucune raison d'être inquiet: si George W. Bush mène la guerre à la morosité économique avec le même doigté qu'il mène la guerre au terrorisme, je crois qu'on peut dormir sur nos deux oreilles.

M. Bush est, après tout, l'homme qui a terrassé Saddam Hussein. Ce n'est pas une petite crise du crédit qui va lui faire peur, c'est sûr.

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