C'était jour de fête jeudi dernier à l'heure du midi au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, à Outremont. Pendant que les cinquièmes secondaires fêtaient leur départ prochain, la direction avait organisé une fête disco pour leurs cadettes de quatrième secondaire.

Sur le terrain verdoyant du pensionnat, par cette journée splendidement caniculaire, il y avait de la musique, un camion de bouffe et des filles enjouées qui avaient eu la permission de remplacer leur sempiternel uniforme par une tenue disco, colorée. Une des filles - appelons-la Fanny -, profitant du fait que sa mère était débordée et n'avait pas eu le temps de valider sa tenue, décida ce matin-là de troquer non seulement son uniforme mais sa brassière contre une petite camisole un peu trop serrée, pas transparente mais pas parfaitement opaque non plus. Et arriva ce qui n'aurait pas dû arriver : la directrice de niveau jeta un coup d'oeil à la belle enfant à la camisole trop serrée et décréta que le bout de tissu d'où pointaient deux seins juvéniles créait un malaise chez ces messieurs les enseignants. De grâce, mon enfant, couvrez-vous, demanda la directrice de niveau, une remarque qui vexa Fanny qui, plutôt que d'obtempérer, préféra rentrer chez elle.

Fanny à peine disparue, la rumeur qu'elle avait été renvoyée par sexisme et sacrifiée sur l'autel du regard mâle professoral et concupiscent se propagea comme une traînée de poudre. Rapidement, les dénonciations se mirent à fuser sur les réseaux sociaux, plusieurs élèves déplorant que leur pensionnat qui se targuait d'être féministe ne l'était pas du tout. 

Une pétition fut rédigée réclamant que le soutien-gorge ne soit pas obligatoire au pensionnat même si, dans les faits, il semble facultatif. 

Mais qu'importe, puisque la cause était belle et noble et que, pour une fois, le chic pensionnat d'Outremont n'était pas en retard d'une révolution : celle des brassières, née il y a deux ans dans une polyvalente de Québec et qui, depuis, n'en finit plus de semer son vent de révolte parmi les jeunes filles qui en ont marre de voir les gars de leur école se balader en bedaine dans les vestiaires alors qu'elles n'ont pas le droit de montrer un bout de peau et doivent cacher leur corps comme des carmélites.

Reste que ce qui s'est passé au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie jeudi dernier et puis lundi lorsque les élèves ont décrété une journée sans soutien-gorge n'est ni nouveau ni unique. Mais comme la révolte a eu lieu à Outremont dans un pensionnat pour jeunes filles chic et bien élevées, elle a attiré l'attention des médias avant de trouver écho à l'Assemblée nationale, où la ministre de la Condition féminine, Hélène David, trop heureuse de sauter dans le train féministe, s'est écriée au sujet des rebelles du pensionnat de sa circonscription : «Vraiment militantes, vraiment engagées. Ces filles-là sont vraiment extraordinaires. Elles posent les vraies questions!»

Les vraies questions, je veux bien, mais quelles sont-elles, exactement? À ce chapitre, les versions divergent. Florence, une élève de cinquième secondaire, m'a dit que le port du soutien-gorge au pensionnat était facultatif et que de toute façon, sous un uniforme, c'était difficile de voir qui en portait un ou pas. Morgane, pour sa part, une élève de troisième secondaire, m'a affirmé qu'au contraire, les surveillantes n'en finissent plus de reluquer les poitrines des filles pour voir si leurs seins sont soutenus ou non. Le cas échéant, les filles se font vertement rappeler à l'ordre. 

Morgane m'a aussi raconté qu'elle avait entendu des profs dire que ça les mettait mal à l'aise quand les filles ne portaient pas de soutien-gorge. Ce à quoi Morgane a rétorqué : «Moi, j'ai 15 ans et toi, t'en as 45. Si l'idée que je ne porte pas de soutien-gorge te met mal à l'aise, c'est toi qui as un problème.»

J'avoue que je suis un peu d'accord avec Morgane. Dans le fond, l'hypersexualisation n'est pas seulement le fait de filles qui se promènent en chandail bedaine ou les seins libres sous une camisole moulante. C'est aussi dans le regard de celui que ça trouble ou que ça excite.

Pour contrer ce regard-là et revendiquer le respect de leurs corps et de leurs seins libres, plusieurs filles du pensionnat ont remplacé le carré jaune des autres écoles par un carré mauve. Pourquoi le mauve ? Parce qu'une des jeunes filles du pensionnat, plus informée que les autres, a découvert que le carré jaune rappelait l'étoile jaune que les nazis obligeaient les juifs à porter pendant l'Holocauste. Elle a compris qu'il valait mieux choisir une autre couleur. Les filles du pensionnat ont tout de suite compris où elle voulait en venir, ce qui est tout à leur honneur.

Aux dernières nouvelles, la direction du Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie songeait peut-être à donner à ses élèves majoritairement féminines le choix de porter ou non un soutien-gorge. Ce serait la moindre des choses. Après tout, nous sommes en 2018. Il y a 50 ans, la légende veut que les féministes de la première heure aient brûlé leurs brassières pour protester contre le sexisme. Mais c'est faux. Les féministes de 68 ont plutôt balancé leurs brassières dans une poubelle avec des gaines, des produits cosmétiques et des talons hauts pour protester. C'était il y a 50 ans et bien que les choses aient évolué, certaines injustices et certains travers sexistes perdurent. Heureusement que les filles du Saint-Nom-de-Marie sont là pour nous le rappeler.