Même sous le règne de Trump, il y a des limites à ne pas franchir. L'actrice américaine Roseanne Barr l'a appris à ses dépens, hier. Après avoir publié un tweet raciste à l'endroit de Valerie Jarrett, une ancienne conseillère de Barack Obama qu'elle a comparée à une guenon, la populaire actrice et fan finie de Donald Trump a tout perdu : sa sitcom sur ABC, l'admiration de ses pairs et de ses proches collaborateurs, l'appui de son agent qui l'a larguée et la sympathie d'une armée d'internautes qui l'ont dénoncée sur les réseaux sociaux. «Tu trouves que c'est mal d'être antisémite, mais pas raciste? Tu es pathétique», a résumé un de ses nombreux détracteurs.

Lundi, pourtant, tout allait pour le mieux dans le monde de Roseanne, dont la sitcom a été le gros succès de la chaîne ABC l'hiver dernier avec des cotes d'écoute de plus de 18 millions. Lundi, tout était beau. Hier, c'en était fini pour la populaire actrice qui, une fois de plus, une fois de trop, a laissé libre cours à des préjugés gros comme des camions et empreints de racisme.

Elle a eu beau se confondre en excuses auprès de Valerie Jarrett et de tous les Américains dans un autre tweet, c'était trop tard. Le mal avait été fait. Il n'y avait pas de retour possible. Bye-bye, Roseanne.

Tout s'est passé en un temps record. Depuis le tweet grossier jusqu'au coup fatal administré par la PDG d'ABC, Channing Dungey, à peine quelques heures se sont écoulées.

Mais on imagine qu'un orage se préparait depuis un certain temps, notamment parce que l'actrice était jusqu'à hier une twitteuse compulsive et incontrôlable, adepte des théories du complot et des délires paranos. Elle était aussi une inconditionnelle de Donald Trump, qui le lui rendait bien.

On se souviendra qu'au lendemain du retour de sa sitcom après une parenthèse de 20 ans, l'actrice recevait les félicitations du président pour ses merveilleuses cotes d'écoute.

Le succès de la sitcom en a surpris plusieurs, y compris la direction d'ABC, qui a admis publiquement qu'elle ne s'attendait pas à une aussi belle performance à l'audimètre.

Pourtant, le retour de Roseanne était le produit parfait pour l'ère Trump.

La classe moyenne, celle qui avait voté pour le président et qui en constituait la base fidèle, en était la vedette. Roseanne affirmait vouloir lui redonner une voix à la télé. Elle disait aussi vouloir aborder les tensions politiques qui divisent les familles américaines depuis l'élection du président. Et elle a réussi. Il faut lui donner ça.

Des limites à ne pas franchir

Avec ses textes cinglants et l'audace des thèmes sociaux abordés, la sitcom était aussi drôle que divertissante, que l'on aime ou pas Roseanne, que l'on soit pour ou contre Trump.

Mais ce qui est diffusé à la télé est une chose. Ce qui se passe dans la vraie vie, une autre. Et dans la vraie vie, Roseanne Barr est une madame blanche, riche à craquer et un peu fêlée qui, comme trop de vedettes qui ne s'entendent plus penser, croit que tout lui est permis.

Cette conviction est accentuée par le fait que la dame vient du monde de l'humour et qu'elle était persuadée, du moins jusqu'à hier, que l'humour donne une licence pour dire les pires énormités et véhiculer les pires préjugés, sans que cela porte à conséquence. C'était peut-être le cas il y a 10 ou 20 ans, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, surtout quand il s'agit de questions raciales, qui sont au coeur à la fois de vives tensions et de brûlantes revendications, de la part de ceux qui ne veulent plus de cette Amérique trop blanche où les Noirs sont considérés comme des citoyens de seconde zone.

On ne badine pas avec les questions raciales en Amérique. On ne traite pas une conseillère chevronnée de guenon. C'est aussi inacceptable qu'odieux.

Roseanne n'a-t-elle pas senti le vent tourner? N'a-t-elle pas vu que «la game a changé», que la place publique est un terrain miné et que le sentiment de pouvoir et de liberté que confère le clavier d'un téléphone intelligent est une arme qui peut s'avérer fatale?

Ce que nous démontre la chute de Roseanne Barr, c'est que même à l'ère de Trump où le grand n'importe quoi semble l'emporter, il y a des limites à ne pas franchir. Roseanne Barr les a franchies en toute connaissance de cause. Tant pis pour elle. Qu'elle retourne au riche et relatif anonymat dans lequel elle vivait depuis 20 ans. On ne s'ennuiera pas d'elle. Bon débarras.