Dans un monde idéal, les concerts, opéras, ballets, expositions, pièces de théâtre, films, spectacles de rock, d'humour, de cirque ou de poésie, bref, tout ce qui constitue l'activité culturelle d'une société, seraient accessibles à tous et gratuits. Dans un monde idéal, le public ne serait pas tant un consommateur passif qu'un acteur actif engagé dans une relation avec l'art et un dialogue avec ses artistes.

Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Nous vivons au Québec, un lieu sur Terre où les humoristes ont le haut du pavé et occupent une vaste part du marché.

Nous vivons aussi en Occident, haut lieu de la tournée d'arénas des pop stars de l'heure qui vendent leurs shows de boucane à prix fort, grugeant non seulement les parts de marché des autres spectacles, mais aussi le budget voué aux activités culturelles du public local.

Pour quelqu'un qui, comme moi, a connu le temps béni où un disque en vinyle coûtait à peine 2 $ et où un bon billet pour un concert de Janis Joplin, des Doors ou de Led Zeppelin au Forum se négociait autour de 8,50 $, c'est difficile, voire enrageant, d'accepter de payer 20 fois ce prix-là pour une soirée avec Madonna ou Lady Gaga.

Mais ce qui est encore plus troublant, c'est l'abondance de l'offre culturelle qui ne cesse de grossir, année après année. Cette abondance donne parfois le vertige, quand elle ne fait pas craindre la lente érosion des publics de têtes grises et de têtes blanches qui, aujourd'hui, peuplent une majorité de théâtres et de salles de concert à Montréal et probablement aussi en région.

Cette abondance n'est pas nouvelle. Il y a des années, elle inquiétait déjà Simon Brault, actuel directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada.

« L'offre domine outrageusement dans l'équation culturelle actuelle. Mais qu'advient-il de la demande et de quelle demande culturelle faut-il s'occuper ? », a-t-il écrit dans Le facteur C, paru en 2009. Dans ce même ouvrage, il évoquait le phénomène des non-publics, « représentant cette partie de la population qui est complètement indifférente ou qui n'est pas rejointe par l'offre culturelle ».

Neuf ans plus tard, ces non-publics existent toujours, à cette nuance près qu'ils ne sont peut-être pas si indifférents que ça. Souvent, s'ils ne peuvent répondre à l'orgie de l'offre, ce n'est pas par manque de volonté ou d'intérêt. C'est faute de moyens.

En principe, plus la culture occupe une place prédominante dans une société, plus elle devrait se démocratiser et être accessible à tous. Or, elle se démocratise de moins en moins, notamment à cause du prix de plus en plus exorbitant des billets - du moins dans le champ de la culture commerciale et populaire.

Sans tomber dans les clichés à la Justin Trudeau, je vois mal comment une famille de la classe moyenne peut répondre à l'incroyable offre culturelle et commerciale à Montréal en 2018.

Qu'on le veuille ou non, le spectacle vivant - la forme de culture la plus populaire chez nous - est devenu un luxe, voire le privilège d'une classe aisée qui est en mesure de se payer, en une seule année, le ballet Casse-Noisette à Noël et un spectacle du Cirque du Soleil, sans oublier un ou deux des incontournables de la pop américaine au Centre Bell, auxquels on ajoutera le spectacle d'un humoriste et une comédie musicale à la Place des Arts ou à Juste pour rire.

Rien qu'avec cette sélection pour deux parents et deux enfants, on arrive à un total d'au moins 3000 $. Autant dire que seules les familles en moyens peuvent se payer cela, sans être obligées de sacrifier un voyage, des rénovations ou des soupers au resto.

Il y a neuf ans, Simon Brault se demandait si, pour répondre au déficit de la demande, il ne faudrait pas subventionner le public, en réduisant considérablement le prix des billets dans les théâtres ou les salles de concert, comme c'est le cas en Europe.

L'idée n'a jamais fait son chemin au Québec. En lieu et place, on a préféré miser sur le réseau des maisons de la culture. Et on a sans doute bien fait. Un seul coup d'oeil à la programmation foisonnante de ces lieux ancrés dans leurs quartiers respectifs permet de voir qu'une vie culturelle active à peu de frais est possible à Montréal, grâce à eux.

L'autre grande source culturelle, ce sont évidemment les festivals et leurs événements extérieurs gratuits où se produisent des artistes québécois qui y feront le plein de public, quitte à ne pas pouvoir remplir leurs salles six mois plus tard.

Ajoutez à cela d'heureuses initiatives comme les Journées de la culture, la Journée des musées montréalais, où l'entrée est libre dans 43 institutions muséales, ou encore le « vendredi dis-ton-prix » du théâtre Aux Écuries, dans Villeray, où le spectateur détermine le prix de son billet en fonction de son budget.

Et que dire des événements pointus et peu chers du Centre Phi, qui offre en ce moment une expérience de réalité virtuelle à 15,50 $ (Ennemi, offerte à guichets fermés), ou ceux du Théâtre Outremont qui, au fil des dernières années, s'est bâti une programmation variée pour tous les publics et dont un des événements les plus courus de la relâche scolaire est le festival de marionnettes des Casteliers.

Tout compte fait, l'offre culturelle montréalaise est un bel exemple d'équilibre entre le commercial trop cher et le niché à bon prix. Toute la culture n'y est pas accessible à tout le monde en tout temps. Mais ceux que la culture intéresse peuvent y trouver leur compte. Un peu plus et on croirait vivre dans un monde idéal.