Génération Bataclan est une association citoyenne française. Elle a été formée dans le but de rassembler des gens favorables à l'édification d'un monument à Paris à la mémoire des victimes des attentats du 13 novembre. Mais la génération Bataclan, c'est aussi, en un sens, la génération de jeunes Français qui ont vécu ou pas les attentats, mais qui vont rester marqués à jamais par ce vendredi soir de novembre où 130 de leurs contemporains - amis, fils, frères, femmes, soeurs, voisins, cousins - ont perdu la vie.

Samedi et dimanche, dans les médias français et chez nous aussi, il a beaucoup été question de la génération Bataclan. Déjà une demi-douzaine de documentaires sur les témoins, les survivants ou ceux qui ont perdu un être cher lors des attentats sont prévus au programme.

Le drame sera revu, revisité et montré de l'angle des victimes, rarement des terroristes, même s'ils font eux aussi partie de la génération Bataclan, qu'on le veuille ou non.

C'est du moins ce que j'ai déduit en visionnant cette semaine un documentaire d'Arte, offert sur le Net. Sous le titre Les banlieues de la ligne 148, ce documentaire réalisé par une équipe allemande nous offre un autre point de vue que celui de victimes - et il mérite le détour.

Pendant une heure et demie, le film suit le trajet du bus 148 qui, sur un parcours de 8 km entre Bobigny et Drancy, traverse la fameuse banlieue des damnés.

Pourquoi le 148? Parce que c'est le bus que Samy Amimour, un des terroristes du Bataclan, a conduit tous les jours pendant un an avant sa radicalisation. Le documentaire trace le portrait d'Amimour à travers cette banlieue tranquille où il est né. Et non seulement ce portrait est étonnant, mais il fait aussi éclater tous les clichés dépeignant les terroristes comme des fils d'immigrants sans éducation, au chômage et condamnés à la délinquance au sein d'une société qui les dénigre et les rejette.

La vie de Samy Amimour avant les attentats ne correspond en rien à ce cliché. Né en France, il a grandi à Drancy, non loin de l'endroit où est né le père d'Astérix et où est mort Jacques Brel, dans une banlieue jolie et tranquille, au sein d'une famille progressiste.

Le futur terroriste n'a jamais été un délinquant ni un chômeur. Il a obtenu son bac au lycée avant d'obtenir un poste de chauffeur de bus à la Régie autonome des transports parisiens (RATP). Tous les jours pendant un an, son bus a sillonné les rues de la banlieue et transporté des centaines de passagers, dont sans doute au moins une victime de cette terrible nuit: Djamel, un trentenaire de Drancy qui, à la terrasse du bar La Belle Équipe, a reçu dans le corps quatre balles qui l'ont cloué à vie à un fauteuil roulant.

Tout au long du trajet du 148, les documentaristes interpellent les habitants du quartier, comme cette vieille dame de 85 ans, souriante et enjouée, qui donne des cours de français aux nouveaux arrivants et vit au milieu de dizaines de nationalités dans une tour qu'elle ne voudrait quitter pour rien au monde. 

On y rencontre aussi l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, un musulman modéré qui vit d'ailleurs maintenant sous protection policière parce que les extrémistes ne le trouvent pas assez radical.

On rencontre enfin des gens qui ont quitté le coin, comme Ghislaine Dumesnil, une employée de la RATP, qui a vu son milieu de travail changer à mesure que des intégristes y étaient embauchés, certains refusant carrément de serrer la main d'une femme. «Le syndicat n'a pas dit un mot», déplore-t-elle.

Mais il y a aussi cette autre femme qui raconte comment elle a vu un ami d'enfance se radicaliser et refuser de lui faire une bise sur la joue et comment, toutes les fois qu'elle le voit, elle le pourchasse pour lui faire la bise malgré tout.

Bref, on est loin de la France intolérante et revancharde de Marine Le Pen, loin des dérives haineuses et du désespoir des enfants de l'immigration, victimes d'intimidation et d'exclusion et entraînés malgré eux vers la radicalisation. 

On est dans une zone grise et complexe, où ceci n'explique plus cela et où, à l'évidence, c'est une multiplicité de facteurs, y compris un imam du nom de Google, qui ont conduit aux attentats du 13 novembre.

Le documentaire ne nous dit pas pourquoi, du jour au lendemain, Samy Amimour a abandonné son bus pour partir en Syrie. Ni pourquoi il est revenu pour tuer ses semblables et signer avec ses acolytes ce cruel carnage. Une voix du film dit par contre une chose à la fois affolante et probablement vraie: «Samy Amimour n'était pas un délinquant, un loup solitaire ou un étranger. Il était comme nous.»

Aussi difficile à avaler que soit cette idée, il faudra bien un jour s'y résoudre. Pas par grandeur d'âme. Simplement pour enfin comprendre pourquoi des hommes comme Samy, qui ont eu autant de chances que les autres dans la vie, finissent par tout gâcher.