Comme bien des femmes de ma génération, j'ai été marquée profondément par Mourir à tue-tête, le film d'Anne Claire Poirier: un film-choc sorti en 1979 et portant sur le viol d'une jeune infirmière (Julie Vincent) par un infâme et violent prédateur sexuel (Germain Houde).

Dans ma mémoire (défaillante), la scène de viol - d'une violence inouïe - se déroulait dans le logement de l'infirmière où le violeur était entré par effraction. Mais la mémoire est un metteur en scène qui change les meubles de place et repeint les murs d'une autre couleur. Dans les faits, le violeur enlève l'infirmière à sa sortie de l'hôpital et la viole dans sa camionnette avant de la laisser pour presque morte dans un terrain de stationnement.

Je m'attarde sur le lieu, mais au fond, il est sans importance. Ce qui comptait, ce que je n'ai jamais pu oublier, c'est l'agression de cette femme apeurée et impuissante, montrée sur grand écran dans toute son abjecte violence: une scène insoutenable, à laquelle, pourtant, mon regard horrifié a refusé de se soustraire.

Mourir à tue-tête a fait époque. C'était un film qui s'inscrivait dans une prise de conscience collective du viol et de ses ravages, prise de conscience toute nouvelle dans le discours public.

Car jusqu'au début des années 70, le viol n'était pas évoqué publiquement. Ce sont les féministes américaines qui, les premières, ont levé le voile sur ce tabou et en ont fait un sujet de dénonciation et un enjeu politique. Ce sont elles aussi qui, dès 1974 dans Rape: The First Sourcebook for Women, ont cerné le concept de culture du viol, une culture fondée sur la domination à la fois physique, sexuelle et politique des femmes.

Reste qu'à l'époque, les choses étaient simples. Un violeur était perçu d'abord et avant tout comme un détraqué, un maniaque, un monstre qui se tenait tapi dans les bosquets, les forêts ou les allées sombres et mal éclairées. Le violeur était un grand malade qu'il fallait attraper et enfermer dans un asile ou une prison.

Démocratisation absurde

On croyait naïvement à l'époque qu'à force de prévention et d'éducation, sexuelle et psychologique, les sociétés viendraient à bout du viol et des violeurs. Il n'en fut rien. Malgré le glissement sémantique et juridique du mot «viol» vers l'expression plus large d'«agression sexuelle», rien n'a été réglé. Non seulement les sociétés occidentales n'ont pas réussi à endiguer les viols et les agressions, mais par un effet pervers, il y a eu une sorte de démocratisation absurde du phénomène.

Désormais, l'agresseur n'est plus un monstre ni un cas d'exception, mais un homme impulsif, dominateur et égoïste - patron, voisin, confrère de classe ou de bureau - qui se fout du désir de la femme en face de lui et qui veut son dû, quitte à le prendre de force.

Cet homme-là, c'est important de le rappeler, n'est pas représentatif de tous les hommes. Mais quand le harceleur s'appelle Marcel Aubut ou Donald Trump ou que l'agresseur est un voyou anonyme qui s'amuse à terroriser des étudiantes de l'Université Laval dans leur sommeil, disons qu'il fait de la très mauvaise pub à ses contemporains. C'est dommage, car il y a probablement aujourd'hui plus d'hommes qui se lèvent pour dénoncer les agressions que d'agresseurs.

Tous les hommes ne sont pas des agresseurs et, à l'inverse, toutes les femmes ne sont pas victimes d'agressions ou d'attouchements.

Ça aussi, c'est important de le rappeler, surtout à la lumière d'histoires d'agressions inventées qui ont défrayé les manchettes: le faux témoignage de Carole Thomas à Longueuil, comme celui de Jackie, victime d'un pseudo-viol collectif sur un campus de la Virginie qui a fait l'objet d'un long article explicite dans le magazine Rolling Stone, avant d'être désavoué par la direction. Un procès pour diffamation intenté contre le magazine par une doyenne de l'université a débuté lundi, preuve que même un média prestigieux ne peut pas impunément jouer avec les faits juste pour suivre le courant.

Un changement majeur

Bref, depuis Mourir à tue-tête, les choses ne se sont pas beaucoup améliorées dans le champ des rapports sexuels, mais il y a eu au moins un changement majeur: le seuil de tolérance des femmes face à toute forme d'agression ou d'intrusion dans leur espace intime a considérablement baissé. Avant, les femmes toléraient longtemps et sans se plaindre des comportements qui les dérangeaient. Avant, elles consentaient comme dans l'expression «Qui ne dit mot consent». Maintenant, elles exigent de consentir vraiment: de consentir à tue-tête, au nom d'un choix libre et éclairé.

À la société maintenant, dans les bureaux, les universités et les institutions publiques, de tenir compte de cette notion de consentement et, surtout, de la respecter.