Le deuil politique de Bernard Drainville, ex-député de Marie-Victorin, a duré un mois : un petit mois, avec seulement une semaine de vacances en Provence, à peine 30 jours, pour évacuer dix ans de vie politique active, dopée à l'adrénaline et à l'excès, où celui qui fut petit page sous Pierre Elliott Trudeau, stagiaire sous Mulroney et correspondant parlementaire sous Jean Chrétien a réalisé son rêve d'être élu député, fonction éminemment honorable à ses yeux.

Mais tout cela est bien fini. Depuis le mois d'août, le député démissionnaire coanime à Québec l'émission du midi au FM93 avec Éric Duhaime, puis saute dans sa Mazda 5 blanche et fonce aux bureaux de QMI sur la colline parlementaire pour enregistrer La joute sur LCN. En tandem avec Luc Lavoie, ex-lieutenant de Pierre Karl Péladeau comme lui, Drainville commente l'actualité politique de la journée avant parfois d'enregistrer un segment pour le bulletin du soir sur TVA avec Sophie Thibault. À l'écran comme derrière le micro, son naturelet son aplomb sont revenus au galop. Le journaliste en lui a refait surface et s'est glissé sans effort dans ses vieilles pantoufles.

« Des pantoufles ? Pas vraiment, parce que pendant mes 18 ans comme journaliste et animateur à la télé publique, je n'ai jamais pu donner mon opinion. Si j'en avais une, il ne fallait surtout pas que ça paraisse. Et là, pour la première fois de ma vie, je peux dire tout ce que je pense. Je ne suis pas assujetti à la neutralité journalistique ni à une ligne de parti. Je n'ai jamais connu cette liberté-là. » 

« Je n'ai pas de comptes à rendre, pas besoin de répondre de mes gestes auprès de qui que ce soit, sauf ma conscience. C'est très agréable. »

Contrairement à Nathalie Normandeau, qui a attendu jusqu'à tout récemment pour déchirer sa carte du Parti libéral, Drainville jure que dès la signature de son contrat avec Cogeco, il a demandé au PQ et au Bloc québécois qu'on le retire de la liste des membres. « Je ne renonce à aucune de mes convictions, mais je ne suis pas là pour défendre le PQ. D'ailleurs, comment peut-on être en ondes et prétendre qu'on n'est pas la voix du parti quand on a encore sa carte ? », demande-t-il en décochant une flèche à Normandeau.

Dans le salon des médias de la tribune parlementaire, les murs sont ornés de portraits de famille des correspondants selon les années. Je m'approche du portrait de 2007 et y découvre les photos en médaillon de Drainville, un peu plus mince et juvénile, mais aussi de Pierre Duchesne et de Gérard Deltell, tous correspondants à la même époque. Comme tout cela paraît lointain...

Drainville arrive en coup de vent dans la pièce beige et bleu, la chemise blanche de travers, le veston un peu fripé. Il se précipite vers la télé allumée. À l'écran, Agnès Maltais s'en prend avec virulence au ministre Lessard. Drainville, qui doit toujours être au fait des dernières infos dans son nouveau rôle au sein de l'industrie du commentaire, l'écoute avec attention. Plus tard, il avouera qu'il ne regarde plus les débats de l'Assemblée nationale du même oeil : « Ce que j'observe, c'est les regards des politiciens qui en disent souvent plus long que leurs paroles. Et puis je les connais, tous ces gens, je sais lire leur non-verbal. »

Revenu à table, Drainville ouvre sa boîte à lunch préparée chaque matin par sa femme, Martine Forand, et s'excuse de devoir manger son demi-sandwich et son yogourt vert lime devant moi. Du temps où Éric Duhaime coanimait avec Nathalie Normandeau, le duo avait établi un calendrier culinaire où à tour de rôle, ils cuisinaient l'un pour l'autre et mangeaient ensemble avant d'entrer en ondes. Le rituel a été aboli depuis. Ce qui ne veut pas dire que Duhaime et Drainville ne s'entendent pas. 

« C'est vrai qu'il m'arrive parfois de me pomper contre Éric et de lui reprocher sa mauvaise foi, surtout à l'égard du PQ, qu'il hait, mais tout cela se termine toujours par un sourire. »

« Tu ne peux pas faire trois heures de radio par jour sans cela. Et puis même si Éric et moi partageons des idées différentes, étonnamment, nous nous entendons sur plusieurs sujets », ajoute-t-il.

Contrairement à Duhaime, Drainville n'a pas de clients qui le paient pour faire leur publicité en ondes. Il n'en a pas, et si j'ai bien compris, il n'en veut pas.

Au moment de notre rencontre, mercredi, Drainville entamait sa sixième semaine au FM93. Il était particulièrement fier du scoop sur la course à la direction qu'il a sorti à la mi-août. Drainville a été le premier à annoncer que Jean-François Lisée était au coude-à-coude avec Alexandre Cloutier. Le clan Cloutier a immédiatement mis en doute la crédibilité de ses chiffres. Sur la colline parlementaire, la rumeur a couru que Drainville travaillait secrètement pour le clan Lisée. « Foutaise que tout cela, me répond Drainville lorsque je lui pose directement la question. Je ne dirai jamais de qui viennent les chiffres parce que je veux protéger mes sources - et des sources, j'en ai encore au parti -, mais si j'ai travaillé, c'est à titre de journaliste. Quand tu mets la main sur une info inédite, tu te fous bien si elle va nuire à l'un ou à l'autre. Tu la sors, un point c'est tout. Ça, c'est le spin du clan Cloutier, dire que je travaille pour Lisée. Qu'ils me fournissent de la bonne info, et je vais la sortir de la même manière. »

Bernard Drainville admet que s'il pouvait voter, il sait très bien pour quel candidat il voterait, mais il ne révélera aucun nom. Chose certaine, on sent une légère acrimonie dans son ton lorsqu'il évoque Alexandre Cloutier, acrimonie qui disparaît dès qu'il parle de Jean-François ou de Martine. Certains ont une théorie à ce sujet : lors de l'unique course à la direction du PQ où Drainville s'est présenté, il a dû battre en retraite et s'incliner devant Alexandre Cloutier. Il en aurait gardé un certain ressentiment.

Pour le reste, Drainville avoue qu'il a ressenti une bouffée de nostalgie à la rentrée parlementaire.

« C'est un peu normal. J'ai dû faire le deuil très vite, à la fois de mes camarades et des gens d'une circonscription que j'adorais et où je me rendais souvent. J'ai dû apprendre à me détacher de tout ce monde-là et de cette vie folle, excessive que j'ai vécue à fond sans jamais décrocher. En même temps, pendant toutes ces années, je n'ai pas vu mes proches ni ma famille. Je n'ai pas soupé une fois à la maison, sauf les fins de semaine, que j'essayais de protéger. À la fin, le réservoir se vidait plus qu'il ne se remplissait. La lumière rouge s'est mise à clignoter quand Pierre Karl a annoncé sa démission. Tout cela m'a ébranlé. Je savais qu'après son départ, il me faudrait recommencer à zéro. Je n'en avais pas l'énergie. J'avais donné : quatre élections, une course à la direction, quatre projets de loi et une charte. » 

« Avant que je devienne un vieux bougon frustré et amer, il valait mieux que je parte. On a le droit d'être heureux dans la vie, et je l'étais de moins en moins. »

Drainville n'a pas perdu la foi pour autant, ni dans le PQ ni en l'indépendance. Il se moque des prophètes de malheur qui cette semaine ont prédit la fin du PQ pour 2034. « L'avenir par définition est imprévisible. Qui aurait pu prédire l'arrivée de Trump en politique, hein ? Moi, tout ce que je sais, c'est que le Québec a 400 ans d'histoire derrière la cravate et que cette volonté farouche d'exister dans notre langue, elle va continuer. Peut-être qu'elle ne va pas mener à la naissance d'un pays. Ça serait plate, mais ça ne serait pas la fin. La fin, ça serait de renoncer à notre langue, à notre culture, à notre spécificité et de vouloir se fondre dans le grand tout mondial, mais je doute que ça se produise. »

Depuis qu'il a quitté la vie politique, Bernard Drainville a arrêté de fumer pour de bon. Cette semaine, pour une rare fois, il a raccompagné son fils de 12 ans à l'aréna de hockey. Il a soupé avec sa blonde à plusieurs reprises, s'est écrasé devant la télé pour regarder Les Simone. Bref, il a retrouvé un semblant de vie normale qui, dit-il, l'a apaisé. C'est probablement en partie vrai, mais on ne se déprogramme pas de dix ans de vie politique en deux mois. À la fin de l'entrevue, qui a fini plus tôt que prévu, il a appelé sa blonde pour la prévenir qu'il rentrait souper, signe que ce soir-là, elle ne l'attendait pas. Signe surtout que Bernard Drainville, qui ne lâche pas son compte Twitter de l'oeil, a peut-être retrouvé une certaine liberté, mais n'a pas complètement renoncé à son ancien mode de vie.