Les superhéros de chez Marvel sont plutôt sectaires. Ils se tiennent entre eux et n'admettent pas grand monde dans leur cercle restreint, même pas ceux qui sur Terre les gouvernent. En plus de 70 ans d'existence, ils n'ont accueilli dans leurs histoires que deux hommes politiques: Pierre Elliott Trudeau en 1979 et Barack Obama en 2009. Or voilà qu'un troisième s'ajoute à la liste: notre Justin Trudeau national, qui fera la couverture de la nouvelle BD Civil War II : Choosing Sides (Guerre civile II: Choisir son camp), à paraître mercredi.

Notons qu'il s'agit d'un comic book de huit pages mettant en vedette l'Alpha Flight, un escadron de superhéros canadiens. Sur la page couverture, les personnages entourent un Justin assis dans un coin du ring. Il n'est pas en complet de premier ministre, mais porte plutôt une camisole frappée d'une feuille d'érable, des boxers noirs et des gants de boxe rouges. Son regard pétille de froide détermination et il affiche un sourire proprement carnassier.

Dans une entrevue accordée au Guardian, l'auteur de la BD, Chip Zdarsky, raconte qu'il a choisi Trudeau parce qu'il était en ce moment la plus grande référence culturelle canadienne universellement connue, à l'exception du chanteur Drake. Il ajoute qu'il n'aurait probablement jamais pu inclure Drake, sous-entendant qu'il aurait coûté trop cher en droits ou qu'il aurait imposé trop de conditions pour protéger son image. Avec Justin, ce fut facile comme bonjour. Le bureau du PM n'a pas appuyé la démarche - faut quand même pas charrier -, mais ne s'y opposera pas. Laisser faire et laisser dessiner.

Après Justin vedette people et roi des selfies, Justin rock star qui s'amène en veste de cuir au concert d'adieu de Tragically Hip en clamant que la musique du groupe fut la trame sonore de sa vie, Justin champion des gais dans tous les défilés de la Fierté du pays et Justin féministe, voici maintenant Justin superhéros de BD. Et ne croyez pas qu'il va se contenter d'une simple figuration dans les huit pages de cette guerre civile. Non, messieurs-dames ! Justin servira de consultant aux superhéros d'Alpha Flight. Tous ensemble, ils régleront le sort du monde et des catastrophes à venir, en débattant de questions morales, éthiques et philosophiques. Amen.

Ce nouveau chapitre dans les aventures de Justin Trudeau vient confirmer sa suprématie au royaume de l'image et en fait le chef politique le plus hot et le plus sexy de l'heure. Remarquez que la compétition n'est pas féroce. Entre le pauvre François Hollande sur lequel s'abattent toutes les tuiles du monde, la terne et psychorigide Angela Merkel, l'effroyable Poutine, Erdogan qui a perdu les pédales et tous les autres dont on a oublié le nom et le visage, Justin se démarque du lot avec brio.

Ce qu'il fait pour l'image du Canada est phénoménal et rafraîchissant. Grâce à lui, ce pays jugé gentil, mais ennuyeux est devenu, à l'international, un pays symbole de coolitude et de progressisme.

Grâce à Justin, il est désormais mal vu de rire du Canada ou de le ridiculiser. Surtout avec un clown comme Trump qui se présente à la présidence de l'autre côté de la frontière.

Mais soyons honnêtes, Justin n'a pas opéré ce miracle tout seul. N'oublions jamais qu'il descend d'un père premier ministre, qui faisait des pirouettes chez la reine d'Angleterre, assistait aux premières du FFM au bras de Louise Marleau ou de Barbra Streisand et s'élançait dans le soleil couchant au volant d'une Mercedes décapotable.

N'oublions pas que chez nos voisins du Sud, pendant que Justin écoutait du Tragically Hip, Bill Clinton gagnait ses premières élections en jouant du saxophone chez Arsenio Hall. Et qu'en fin de mandat, Barack Obama ne donne pas sa place sur le terrain de la coolitude.

Mais Justin est Justin. Il est jeune, beau, élégant, bourré de charisme, en top shape physiquement et se déplace avec une extraordinaire aisance sur le terrain et dans les bains de foule.

L'ennui, c'est que tout cela, c'est de la forme, des apparences, de l'image et, à la limite, de la poudre aux yeux. Non pas que Justin nous cache de vils secrets d'État et magouilles dans notre dos. Pour l'instant, il mène plutôt bien sa barque politique. Reste qu'il ne faudrait pas que sa dégaine de rock star nous aveugle et nous fasse oublier que son premier job, ce n'est pas mannequin, mais premier ministre.

Je n'ai rien contre une belle image, sauf lorsqu'elle contamine notre sens critique et embellit tout, même les mauvais coups. Rappelons à ce sujet que le beau et cool Justin avait promis d'annuler l'achat des F-35 et qu'il est revenu sur sa décision. Que son gouvernement a assoupli les règles de vente d'armes pour pouvoir vendre des véhicules blindés à l'Arabie saoudite, un régime violent qui bafoue systématiquement les droits de l'homme. Et que pendant que Justin multiplie les selfies avec ses adorateurs, le blogueur Raif Badawi croupit toujours dans une prison de l'Arabie saoudite.

N'empêche. Cela sera sans doute très divertissant de voir Justin recevoir les superhéros d'Alpha Flight dans son bureau au parlement. Mais qu'il fasse attention. À trop fréquenter les superhéros, Justin pourrait rester coincé à jamais dans leur BD...

ILLUSTRATION FOURNIE PAR RAMON PEREZ/LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau apparaît en page couverture d’une bande dessinée de Marvel intitulée Civil War II : Choosing Sides, qui sera en kiosque mercredi.