Aujourd'hui, veille du congé de la fête nationale, à la place des Festivals comme sur les plaines d'Abraham, la chanson québécoise sera à l'honneur. À Québec, les chanteurs populaires réunis autour de Marie Mai, l'animatrice de la soirée, puiseront à même un catalogue d'environ 75 chansons de chez nous. À Montréal, des chants autochtones portés par Florent Vollant, Samian ou Natasha Kanapé Fontaine viendront se mêler aux chansons francophones d'Éric Lapointe, de Yann Perreau, des Soeurs Boulay et de Brigitte Boisjoli.

Ce soir, on ne se gênera pas pour chanter en français. Normal. La fête nationale, c'est le Noël de la chanson québécoise, le jour de l'année où l'on sort nos CD rayés de Paul Piché, de Charlebois et de Louise Forestier et où l'on chante en choeur notre fierté d'être des Québécois francophones d'Amérique. Et puis, dès le lendemain, on remballe nos classiques ou nos tubes du moment et on les oublie pour le reste de l'année pour mieux danser et chanter sur du Rihanna, du Beyoncé, du Bieber et tous les autres membres de la grande famille pop anglo-saxonne.

Si je n'ai pas écrit ce paragraphe cent fois, je ne l'ai pas écrit une fois dans tant de chroniques où j'ai pleuré le déclin de la chanson québécoise. Sauf que ce coup-ci, on y est pour de vrai. Ce coup-ci, c'est du sérieux. Les ventes de CD de la chanson québécoise sont non seulement en chute libre, elles sont sur le point de toucher le fond du baril, comme l'indique le reportage de ma collègue Émilie Côté, paru samedi. Les comparaisons qu'elle fait entre 2006, l'année où Pierre Lapointe a vendu 160 000 exemplaires du CD La forêt des mal-aimés, et aujourd'hui, où des ventes de 20 000 exemplaires sont un miracle, font dresser les cheveux sur la tête. 

En 2006, une quinzaine d'albums s'étaient écoulés à plus de 50 000 exemplaires au Québec. En 2016, le chiffre a fondu à quatre!

Le phénomène n'est pas propre au Québec ni à la chanson francophone. Mais habituellement, cette chute des ventes de CD est inversement proportionnelle à l'augmentation des ventes de billets de spectacles. Or les auteurs-compositeurs-interprètes francophones ne remplissent plus leurs salles comme avant. À Montréal, comme l'a constaté mon collègue Hugo Pilon-Larose, le public déserte de plus en plus la chanson franco qui a perdu la moitié de ses assistances payantes. En région, ce n'est guère mieux. Même les billets des vedettes de la chanson comme Louis-Jean Cormier ne s'envolent plus comme des petits pains chauds. Et la plupart du temps, leur déclin se fait à la faveur des humoristes. Selon les dernières données colligées par l'Observatoire de la culture et des communications, en 2014 en région, huit des dix spectacles les plus populaires et les plus rentables étaient ceux d'humoristes.

La chanson francophone fout le camp et les raisons qui expliquent le phénomène sont multiples: faiblesse de l'économie en région, surabondance de l'offre à Montréal, surproduction d'albums lancés sur le marché sans stratégie de diffusion précise, changement des habitudes de consommation des nouvelles générations, intensification de la pénétration de la pop anglo qui profite d'une diffusion mondiale et mondialisée, etc.

En même temps et malgré tout, certains arrivent à tirer leur épingle du jeu, dont deux exemples probants et diamétralement opposés: Marie Mai et Jean Leloup, qui ont connu tous les deux cette année un extraordinaire succès en salle et fait plus que le plein de leurs publics respectifs. Le cas de Leloup est particulièrement miraculeux dans la mesure où voilà un auteur-compositeur-interprète qui fait carrière depuis plus de 25 ans et qui a réussi ce que peu d'artistes de sa génération réussissent: renouveler et rajeunir son public. À ces deux noms s'ajoutent ceux de Coeur de pirate, des Soeurs Boulay, de Pierre Lapointe, Ariane Moffatt, Louis-Jean Cormier, Les Trois Accords et Bernard Adamus.

Vivante et compative

Tout cela pour dire que la chanson francophone n'est pas finie ni morte et enterrée. Elle en arrache, mais elle demeure vivante et combative.

Dans un texte commandé par le Mouvement national des Québécoises et Québécois pour la fête nationale et dont le titre est «Que la fête soit en or», l'homme de théâtre René Richard Cyr a écrit: «Sur notre coin de terre, afin de continuer à exister, nous n'avons d'autre choix que celui de brandir un art de survie, basé sur la nécessité incontournable et la joie du combat... si nous ne créons pas, nous mourons.»

Bref, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir et mon plus grand espoir, c'est que dans 20 ans, en 2036, il y ait autant d'artistes québécois qui chantent en français qu'aujourd'hui, et que le public soit au rendez-vous pour les écouter, les applaudir et chanter en choeur avec eux. Et pas seulement le 24 juin. C'est la grâce que je nous souhaite. En attendant, bonne fête nationale!