C'est une oeuvre monumentale de plus de 10 m de hauteur, toute en transparence et en dentelle d'inox, qui sera installée à l'entrée sud de Bonaventure. C'est signé par un des grands sculpteurs contemporains, le catalan Jaume Plensa, et c'est un beau gros cadeau d'art public fait à la ville de Montréal pour son 375e anniversaire.

Je ne vous en parle pas parce que le cadeau vient de France Chrétien Desmarais et d'André Desmarais, le propriétaire de ce journal, et que je veux me mettre dans les bonnes grâces du grand patron, quoi que...

Blague à part, je vous en parle d'abord parce que cette sculpture baptisée Source, dont la maquette a été dévoilée cette semaine, est magnifique. Tellement magnifique que j'aurais aimé que Montréal soit la seule ville au monde à en avoir un exemplaire. Or, il existe au moins une autre sculpture presque identique à Tokyo, qui, au lieu de s'appeler Source, s'appelle Racines. Mais peu importe.

D'ici l'automne 2017, à l'entrée sud de Bonaventure, il y aura désormais un peu de beauté dans la poussière, le bitume et les embouteillages. Et cela n'aura coûté à la Ville de Montréal et à ses contribuables que les frais d'installation, qui sont quand même élevés - un demi-million - mais qui en valent la dépense. Le reste de la facture est défrayé par le propriétaire de ce journal.

Je ne chipoterai pas sur le fait qu'un artiste étranger plutôt qu'un artiste d'ici ait été choisi. Une ville comme Montréal a le droit, à l'instar de Calgary, Chicago, Toronto, Nice ou Shanghai, d'accueillir un artiste étranger comme elle a accueilli le sculpteur Alexander Calder en 1967 à Terre des Hommes. Sans compter que Montréal reçoit à longueur d'année des chanteurs, des écrivains et des musiciens étrangers. Et il faudrait qu'elle ferme ses portes à un grand sculpteur catalan ? Absurde !

Quoi qu'il en soit, tous ceux qui sont sensibles à l'art contemporain en particulier et à l'art public en général ne pourront que se réjouir de cette nouvelle acquisition - d'autant plus que, pour une fois, ce ne sont pas les Montréalais endettés qui paient la note, mais des mécènes qui offrent un cadeau d'anniversaire à leur ville bien-aimée.

Source est assurément un modèle à suivre. En revanche, Escales découvertes est un modèle à proscrire : un modèle coûteux qui passe pour de l'art public, mais qui n'en est pas.

Je fais référence aux 27 blocs de granite que la Ville veut planter sur le crâne du mont Royal et qui a soulevé avec raison l'ire de l'opposition municipale.

Soyons honnêtes : le projet Escales découvertes, conçu par l'architecte Peter Soland, ne consiste pas à garrocher du granite à grandeur de montagne. Il s'agit dans les faits de créer une dizaine de haltes qui seront meublées de socles de granite supportant des cartes tridimensionnelles que les visiteurs pourront consulter, assis sur des bancs de granite en forme de souches.

Le problème ? D'abord, le coût assez salé merci : 3,5 millions ! On parle ici de millions non pas pour la sculpture d'un grand artiste international, mais pour une dizaine de haltes au sein d'une montagne qui aurait très bien pu se satisfaire de modestes bancs de bois.

On parle de millions versés à une firme d'aménagement paysager - Aménagement Côté Jardin - qui, depuis 2014, s'est vu accorder plus de 18 millions en contrats par la Ville, selon une compilation d'appels d'offres publics. À croire qu'il n'y a qu'une firme d'aménagement paysager à Montréal !

On parle enfin d'un projet qui ne fait pas l'unanimité parmi tous ceux qui ont à coeur le patrimoine montréalais.

Je pense au Conseil du patrimoine de Montréal, une instance consultative, qui ne s'oppose pas officiellement au projet. Reste que dans son avis, plusieurs réserves sont émises.

« Le CPM réitère sa crainte que l'ajout d'objets supplémentaires sur la montagne ne résulte en un effet de surcharge sur ce qui est déjà présent et à venir. Notamment, le CPM est quelque peu sceptique à l'égard des haltes et des bancs [...]. Car bien qu'il soit tout à fait justifié de prévoir des lieux pour s'asseoir et contempler certains endroits sur la montagne, les haltes sont prévues dans des endroits où aucun aménagement ne se trouve... », écrit Pierre Gauthier dans un avis du CPM daté du 12 novembre 2015.

« N'est-il pas souhaitable de conserver certains lieux non aménagés ? La montagne ne devrait-elle pas être le moins aménagée possible de manière à éviter d'altérer son potentiel archéologique ? »

- Pierre Gauthier dans un avis du Conseil du patrimoine de Montréal

Dans le même ordre d'idées, les Amis de la montagne ont exprimé dans un communiqué leurs doutes à l'égard du granite jugé trop voyant et contraire aux recommandations de Frederick Law Olmsted, l'architecte paysagiste qui a conçu le parc du Mont-Royal inauguré en 1876.

Les Amis de la montagne ont proposé de remplacer le granite qu'on ne trouve nulle part sur le mont Royal par des matériaux qui y sont, comme le gabbro ou le calcaire, mais leur proposition ne semble pas avoir été retenue ni entendue.

En posant des questions ici et là, j'ai senti que tout le monde marche sur des oeufs dans cette affaire, sauf évidemment le très vocal maire Coderre qui tient mordicus à son granite. Et qui ne semble pas voir que ce projet amène une surcharge inutile au sein d'un trésor naturel qui n'a besoin de rien sauf d'égards et de soins.

En dernier lieu, c'est le ministère de la Culture qui tranchera. La montagne est un site patrimonial protégé. Tant que le Ministère n'a pas donné son feu vert aux travaux, ils ne peuvent commencer. Personnellement, en pensant à ces millions gaspillés en souches de granite inutiles, je prie pour qu'ils ne commencent jamais.

PHOTO FOURNIE PAR JAUME PLENSA ET LA GALERIE LELONG

La sculpture de plus de 10 m de hauteur sera placée sur un parterre gazonné de la future entrée Bonaventure, à l'intersection du boulevard Robert-Bourassa et de la rue Wellington.

IMAGE FOURNIE PAR LA VILLE DE MONTRÉAL

Projet Montréal s'oppose à l'installation de 27 souches en granit sur le mont Royal, un projet de 3,5 millions prévu dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal.