Andréane, 31 ans, hait la fête des Pères. C'est une journée qui, immanquablement, la rend confuse et incapable de s'identifier ni au père social qui l'a élevée ni à l'inconnu biologique dont elle est issue. Andréane fait partie des 8000 Québécois de moins de 40 ans (chiffres approximatifs) nés d'un don de sperme anonyme. Elle est un des personnages principaux du documentaire Nés de sperme inconnu, qui sera présenté ce soir à Canal Vie et qui mérite vraiment le détour.

On a mille fois entendu parler de ces couples infertiles, hétéros ou homos, qui ont eu recours à l'insémination artificielle et au don de sperme ou d'ovules pour se reproduire.

Grâce aux témoignages de Joël Legendre ou même de Julie Snyder, on a tout su de leurs difficultés, de leurs aspirations, de leur désir de parentalité et de leurs espoirs comblés. Mais qu'en est-il de leurs enfants? Que savent-ils de leur origine? Leur a-t-on menti ou dit la vérité? Et le cas échéant, comment vivre et grandir en sachant que sa mère est un ovule commandé par catalogue ou son père, un gamète anonyme entreposé dans un congélateur? Comment? Mal, si je me fie au documentaire Nés de sperme inconnu, qui donne enfin la parole à ces enfants pas comme les autres.

L'idée du film est venue à la réalisatrice Marie-Hélène Grenier en prenant connaissance du blogue d'Andréane Letendre, qui se désolait de voir que 30 ans après les premières inséminations artificielles au Québec, il n'existait toujours pas d'association ou de regroupement de personnes issues de donneurs anonymes.

Dans une entrée touchante de ce blogue baptisé La cigogne démasquée et lancé en 2013, Andréane écrit: «Après avoir appris que j'avais été conçue avec les gamètes d'un étranger, un sentiment de grande solitude m'a envahi. J'avais le désir de me révolter, mais en même temps, je me sentais impuissante. Pour mon entourage, c'était un problème d'enfant gâtée; n'avais-je pas eu tout ce dont j'avais besoin? J'avais l'impression que tout cela ne concernait que moi, que j'étais une mauvaise fille d'avoir un problème avec ma conception. Je devais garder le secret: pour ne pas traumatiser mon frère (qui l'a appris un an plus tard), pour préserver l'honneur de mon père social, pour ne pas faire de peine à ma mère. Jamais il ne m'a effleuré l'esprit que je ne sois pas la seule à vivre une situation similaire »

Dans le documentaire, on voit Andréane partir à la recherche de ce père-gamète et se heurter au mutisme de l'hôpital Saint-Luc, où sa mère a été inséminée en 1983. C'est le docteur Claude Duchesne, un pionnier dans le domaine, qui a pratiqué l'intervention, mais il est mort depuis. Sous prétexte qu'il ne reste plus personne de cette époque à la clinique de fertilité de Saint-Luc, Andréane n'a pu obtenir d'information supplémentaire sur sa conception. Pour le monde médical, la quête des enfants nés de donneurs anonymes ne semble être ni une priorité ni même une préoccupation. Pourtant, Andréane n'est pas la seule habitée par le besoin de connaître les origines du donneur de sperme dont elle est en partie issue. C'est le cas de Mark, 25 ans, un autre des protagonistes du film. Il raconte avoir traversé une grosse crise d'identité à l'adolescence en apprenant les détails de sa conception. Pendant longtemps, il s'est senti perdu et désemparé, et estime encore aujourd'hui qu'il lui manque une pièce maîtresse pour comprendre qui il est.

La quête des enfants nés de donneurs anonymes n'est pas que symbolique. Elle est aussi médicale, génétique, sociale, oedipienne même. Plusieurs craignent en effet une rencontre amoureuse fortuite avec un demi-frère ou une demi-soeur, ou alors que cet inceste involontaire saute une génération et contamine les amours de leurs enfants.

Ajoutez à cela la crainte de maladies héréditaires ou même de maladies mentales. Le mois dernier, trois familles ontariennes ont déposé une poursuite contre Xytec, une clinique de sperme américaine, et le distributeur canadien Outreach Health Services. Les familles plaident qu'on les a induites en erreur en omettant de leur révéler que leur donneur avait un dossier criminel et souffrait de maladie mentale.

Le petit Jonathan, 8 ans, un autre témoin du film, a eu plus de chance que Mark et Andréane. Sa mère a fait appel à une clinique américaine de sperme et a payé le supplément pour un forfait d'identité ouverte. En théorie, Jonathan aurait pu connaître l'identité de son donneur à la majorité. Mais celui-ci est mort récemment dans un accident de moto, déclenchant une révélation automatique de son identité à ses héritiers. Depuis, Jonathan s'est découvert une famille élargie et même un demi-frère au Québec. Et les jours où il s'ennuie de ce père-gamète qu'il n'a jamais connu, il se console en contemplant ses photos.

Andréane et Mark aimeraient en faire autant. Selon la réalisatrice Marie-Hélène Grenier, les deux seraient les gens les plus heureux de la terre s'ils pouvaient mettre rien qu'un visage ou un nom de famille sur celui qui leur a en partie donné la vie.

Même qu'une simple photo ferait l'affaire, car Mark et Andréane ne cherchent pas un père. Ils cherchent une lignée et une filiation qui, malheureusement, risquent de leur échapper toute leur vie.

Nés de sperme inconnu, ce soir, 20h, à Canal Vie