Ça n'en finit plus de finir. Chaque jour que le Bon Dieu amène nous balance son lot de victimes, jeunes femmes ou jeunes hommes, droguées, soûlées, violées et brisées à jamais par un prédateur tout-puissant.

La dernière victime aurait pour nom Kesha Rose Sebert. C'est une chanteuse populaire américaine de 28 ans, très connue et appréciée des ados et des jeunes adultes qui tripent sur la pop sucrée.

En 2009, son single TiK ToK jouait en boucle dans des millions de chambres ou de sous-sols d'ados en goguette. Dans le vidéoclip de la chanson, Kesha apparaît tout en boucles blondes et en shorts constellés de brillants comme une princesse glam, heureuse, insouciante, un peu délinquante sur les bords, prête à faire la fête toute la journée, toute la nuit, voire toute sa vie.

Mais vendredi dernier, dans une cour de Manhattan, Kesha n'avait pas le coeur à la fête. Un juge venait de lui refuser l'injonction qu'elle réclamait contre la maison de disques Sony, mais surtout contre son producteur Dr. Luke.

Dans une poursuite déposée en octobre 2014, Kesha accuse le producteur non seulement d'exercer un contrôle étouffant et paralysant sur sa créativité et sa carrière, mais aussi de l'avoir droguée, soûlée et violée à plusieurs reprises, déclenchant chez elle des crises de boulimie qui ont failli l'achever.

Le producteur, ancien guitariste pour Saturday Night Live devenu une machine à produire des tubes, s'est empressé de démentir formellement les accusations de Kesha, l'accusant à son tour de mensonges et de diffamation.

En attendant que la cause soit entendue, Kesha avait demandé une injonction pour rompre son contrat avec Sony, qui l'oblige à produire six albums supplémentaire avec Dr. Luke. On peut aisément comprendre pourquoi. Comment en effet peut-elle retravailler avec celui qu'elle a dénoncé et accusé de crimes aussi sérieux ou même le cotôyer? C'est impensable! Et pourtant, le juge a refusé de lui donner raison, invoquant des causes contractuelles inviolables. Inviolables en effet!

Comme le faisait remarquer l'avocat de la chanteuse, «Kesha fait face à une décision abyssale: soit elle travaille avec son présumé agresseur, soit elle attend passivement que sa carrière périclite».

Tout n'est pas perdu pour autant. Kesha a reçu des milliers de messages d'appui de ses fans qui ont même lancé une pétition et le mouvement Free Kesha (Libérez Kesha) qui gagne en ampleur chaque jour.

Des chanteuses aussi connues et populaires que Lady Gaga, Ariana Grande et Lorde l'ont appuyée publiquement sur les réseaux sociaux. Taylor Swift lui a fait parvenir un chèque de 250 000 $. Plus important encore, la chanteuse Kelly Clarkson - qui a elle-même travaillé avec Dr. Luke - a laissé entendre, juste assez subtilement pour qu'on saisisse le message, qu'elle ne portait pas l'homme dans son coeur elle non plus.

Ce qui est particulièrement intéressant avec cette cause, c'est qu'elle est emblématique et symptomatique d'un milieu - celui de la musique pop américaine - qui, tout en brassant des millions, carbure au sexisme, à l'abus de pouvoir, à la domination des plus faibles par les plus forts.

Les jeunes femmes qui aspirent à une carrière dans ce milieu sont évidemment les plus vulnérables aux attaques des prédateurs. Mais tout récemment, le film Love and Mercy, adaptation de l'autobiographie de Brian Wilson des Beach Boys, racontait le même genre d'histoire d'horreur entre le musicien et son psy.

À la suite d'une importante dépression qui a mené à son internement, Brian Wilson est pour ainsi dire devenu la marionnette de son psy Eugene Landy. Celui-ci a bourré Wilson de médicaments, l'a isolé de sa famille et a lentement pris le contrôle de sa vie et de sa musique, devenant son agent, garde du corps, producteur et même co-compositeur, un joug dont le musicien a mis des années à se défaire. Le psy a finalement perdu sa licence de psychiatre pour violations éthiques. Comme quoi les chanteuses ne sont pas les seules victimes de ce milieu toxique, même si elles sont sans doute les plus nombreuses et les plus silencieuses.

Il est d'ailleurs rare qu'une chanteuse pop de la notoriété de Kesha porte des accusations d'agression sexuelle et de harcèlement moral contre un directeur, un agent ou un producteur. Kesha a dû faire preuve d'une bonne dose de courage pour s'en prendre à la fois à une super puissance comme Sony et à celui qui avait droit de vie ou de mort sur sa carrière. Vendredi dernier, elle a malheureusement perdu la première ronde, mais la bataille ne fait que commencer. Et aux yeux de l'opinion publique, c'est clair que Kesha a déjà gagné.