Vous êtes-vous déjà demandé ce que vous auriez aimé qu'on vous propose à 15 ans, lorsque vous vous sentiez un peu perdu? Qu'est-ce qui vous aurait soulagé? Vous aurait fait retrouver le sourire? Vous aurait donné envie de rêver?

Ce sont précisément les questions existentielles que l'homme de théâtre Wajdi Mouawad s'est posées il y a cinq ans. Wajdi, qui avait 42 ans à l'époque, aurait pu s'en tenir à ces questions avant de passer à un autre appel. Mais il a toujours eu de l'idéalisme et de l'ambition à revendre. Au lieu de se contenter de paroles, il est passé à l'action.

Ainsi est né Avoir 20 ans en 2015, un projet de médiation culturelle impliquant 50 jeunes de 15 ans, dont 10 jeunes Montréalais parrainés par le TNM et la Ville de Montréal.

Pour ceux qui l'ignorent, la médiation culturelle est une stratégie d'action culturelle centrée sur les échanges et les rencontres entre les citoyens et les milieux culturels et artistiques. Les Journées de la culture font de la médiation culturelle. Les sorties des écoliers au théâtre ou au musée sont aussi un exemple de médiation culturelle.

Mais le projet de Wajdi était le plus fou et le plus grandiose de tous: recruter dix jeunes dans cinq villes différentes - pour un total de 50 jeunes - et les suivre, de leurs 15 ans jusqu'à leur vingtaine, en leur ouvrant les portes des musées, des théâtres et du voyage pour leur faire vivre une expérience humaine marquante et enrichissante qui, à coup sûr, changerait leur vie.

Or, si je me fie aux dix visages rayonnants que j'ai vus lundi soir à l'hôtel de ville de Montréal pour la conclusion du projet, c'est mission accomplie.

Les dix jeunes Montréalais du projet ont pour prénoms Juliane, Anne-Marie, Éléonore, Natasha, Quentin, Justine, Alexis, Nadjib, Benjamin et Vladimir. C'est ce dernier que j'ai rencontré il y a cinq ans, aux premières heures du grand départ.

À l'époque, Vladimir était un ado de 15 ans anxieux, renfermé, peu bavard et peu souriant. Né à Montréal mais d'origine russe, il vivait dans le Centre-Sud avec sa mère, une artiste de cirque, qui peinait à joindre les deux bouts.

Renvoyé de son école de quartier, il était passé à un cheveu de basculer dans la délinquance. Un prof à la retraite l'avait pris sous son aile, devenant en quelque sorte son tuteur. C'est le tuteur qui, un jour, lui a parlé du projet de Wajdi.

Vladimir ne connaissait pas Wajdi, ni son théâtre, mais il a décidé de soumettre sa candidature. Bien que convaincu qu'il ne serait pas choisi, il a écrit une lettre de deux pages expliquant que ce qu'il recherchait à travers le projet Avoir 20 ans en 2015, c'était un sens à sa vie.

Cette courte et touchante phrase de la part d'un gamin de 15 ans un peu perdu, mais conscient de l'être, a été la bougie d'allumage. Vladimir a été retenu comme finaliste parmi les 150 inscriptions avant d'être choisi et de partir pour la grande aventure qui allait lui permettre, comme il l'a si bien écrit lui-même, de «danser à Varsovie, de contempler la verdure et le ciel de ce qui fut autrefois Auschwitz, de goûter aux savoureuses mangues du Sénégal et de croiser les nombreux regards et sourires des étrangers d'ici et d'ailleurs».

J'ai retrouvé Vladimir cette semaine. Il n'avait pas encore trouvé ce qu'il voulait faire dans la vie, mais il avait changé. Changé comme tous les êtres humains changent entre 15 et 20 ans et, dans son cas à lui, changé pour le mieux.

La première chose qui m'a frappée en le revoyant, c'est son sourire. Vladimir m'attendait à la porte d'un café. Il s'est retourné et un sourire radieux a illuminé son visage autrefois si triste. Son regard qui ressemblait, il y a cinq ans, à un néon éteint, était vif et pétillant.

Ce n'était plus la même personne. Ou alors, c'était une autre version de la même personne: une version claire et épanouie, jaillie du négatif de l'ancien Vladimir.

«À l'époque, j'avais peur de beaucoup de choses. Quelques jours avant d'être sélectionné, la DPJ allait m'envoyer en centre jeunesse, raconte Vladimir. Aujourd'hui, je suis triste rien qu'à imaginer celui que j'aurais pu devenir en sortant d'un tel enfer: vide, dépourvu de tout goût et de toute confiance pour la vie.»

Avoir 20 ans en 2015 n'a sans doute sauvé la vie de personne, mais le projet a fait une grande différence dans la vie de tous ses participants. Vladimir, lui, y a appris une foule de choses sur lui-même et sur les autres, mais surtout, il a appris à sourire à la vie.

On dit souvent que l'Histoire se répète et que, fondamentalement, le monde ne change pas. Mais si tous les jeunes de 15 ans pouvaient vivre la même incroyable aventure que Vladimir et ses amis, le monde changerait malgré lui.

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