Qui, au Québec, peut se vanter de réussir à réunir, dans la bonne humeur et dans le même lieu clos, Monique Simard, Mario Dumont, Brian Mulroney, Robert Poëti, Gaétan Barrette, Lisette Lapointe, Michael Sabia, Bernard Derome, Hadrien Parizeau, Hélène David, Louise Harel, Daniel Johnson et j'en passe?

Je ne vois qu'un seul homme: John Parisella, ex-chef de cabinet des premiers ministres Robert Bourassa et Daniel Johnson, conseiller politique de Jean Charest et proche de Claude Ryan.

Or, lundi soir au musée McCord, c'est l'exploit que Parisella, fils d'un cordonnier italien, a réussi pour le lancement de son livre La politique dans la peau, paru aux Éditions La Presse.

Je ne vous parle pas de ce livre parce qu'il a été publié par le groupe pour lequel je travaille, ni parce que sa lecture m'a passionnée ou que j'y ai appris des choses renversantes ou croustillantes, ce qui ne fut pas le cas.

Je vous en parle parce que de mémoire de journaliste - une mémoire qui ne me fait pas encore trop défaut malgré les millions de lancements auxquels elle a participé -, j'ai rarement vu un événement aussi couru, aussi bondé et réunissant autant de gens influents, non seulement d'horizons différents, mais de camps opposés et parfois même de camps ennemis. Pour tout dire, tous les plus grands décideurs du Québec ou presque y étaient: ne manquaient que le maire Coderre, parti en Chine, ou Justin Trudeau, pas encore assermenté.

Incapable de pénétrer dans la salle principale tant les invités y étaient cordés serré, je suis restée à l'entrée pour virtuellement prendre les présences en me demandant pourquoi.

Pourquoi John Parisella avait-il attiré tous ces gens? Et pourquoi ceux-ci étaient-ils prêts à mettre leurs différends de côté pour lui faire la fleur de leur présence? Qu'est-ce qu'il avait fait au bon Dieu pour avoir tant d'amis ou alors si peu d'ennemis?

Je me suis moi-même posé la question. Qu'est-ce que je foutais là alors que je n'appartiens pas au monde politique et encore moins au Parti libéral? La réponse a fusé, toute simple: parce que John Parisella est un chic type, un homme ouvert, engageant et attachant qui, tout au long de sa carrière et même au faîte des pires tempêtes politiques, a voulu rapprocher les gens. Le genre d'homme avec qui on se sent immédiatement à l'aise, que l'on soit d'accord ou non avec ses idées.

La première fois que nos routes se sont croisées, c'était en 1992. Je venais de rentrer à La Presse et l'actualité était bourdonnante de l'affaire Wilhelmy-Tremblay, les deux conseillers politiques de Robert Bourassa dont les conversations téléphoniques au sujet du fiasco de l'accord de Charlottetown, en août de cette année-là, avaient été enregistrées à leur insu et les enregistrements, «coulés» aux médias.

Les cellulaires à l'époque étaient déjà très à la mode, mais pas exactement sécuritaires. J'avais entendu parler d'un type de Lévis, un maniaque du scanner qui, grâce à deux appareils - les Realistic Pro 2500 et 2600 -, réussissait par beau temps, mais surtout par soirs de caucus libéral, à capter les conversations par cellulaire des élus de l'Assemblée nationale.

C'est assise au milieu de son modeste salon à Lévis que pour la première fois j'ai entendu résonner la voix de John Parisella, qui à l'époque était chef de cabinet de Bourassa. L'enregistrement datait d'un an, donc d'avant la débâcle de Charlottetown, et Parisella faisait faire ses devoirs à sa fille au téléphone, puis, très relax, discutait avec sa première femme de patio et de paysagement, avant d'être brutalement interrompu par un bip lui signalant qu'IL (alias Robert Bourassa) était en ligne. J'avais rapporté la conversation de Parisella en me moquant de lui. J'avais appris entre les branches qu'il avait été vaguement inquiet de ce que j'avais bien pu entendre, mais il n'avait pas fait de pressions pour le savoir. Même qu'il en avait ri avec moi des années plus tard.

Est-ce pour ça que j'étais au lancement lundi? En partie, oui, parce que les gens cool et foncièrement gentils en politique sont rares, tellement rares que les médias ont affublé Parisella de deux surnoms: Mister Nice Guy et Gentleman du bunker. Évidemment, de tels qualificatifs en politique s'accompagnent de la perception (voire de la certitude) qu'un type trop gentil est un imbécile ou du moins une espèce de béni-oui-oui, un téteux qui n'a pas vraiment de pensée structurée et qui ne dit rien parce qu'il n'a rien à dire.

Mais ce n'est pas le cas de Parisella, qui a été stratège assez longtemps et d'assez de chefs pour qu'on lui en reconnaisse la compétence et le talent. Par la suite, lorsqu'il a quitté la politique active pour en faire l'analyse dans les médias, il a eu la bonne idée (et les médias aussi) d'analyser ce qui se passait à la Maison-Blanche plutôt qu'à l'Assemblée nationale. J'imagine que ça lui a permis de garder ses amis ou du moins de ne pas se faire d'ennemis.

À cet égard, le métier d'analyste politique ressemble un peu à celui de critique en culture. Vaut toujours mieux dire du mal d'un produit culturel étranger que québécois, mais ça, c'est une autre histoire.

Vers la fin de son livre qui aurait gagné à être un peu plus personnel et moins factuel, Parisella cite George Bernard Shaw, qui disait qu'il valait mieux durer que briller. Je veux bien. Mais pour durer aussi longtemps et aussi bien que John Parisella, il faut aussi être un peu brillant.