C'est une publicité sur le transfert de patrimoine, mignonne comme tout. Dès les premières images, on y découvre un bébé naissant sur lequel se penchent tendrement ses parents. «Ma petite Gabrielle», lance affectueusement le papa au bébé qui, sous nos yeux, se transforme, devient petite fille, puis ado, puis femme, souriante, frondeuse, heureuse, choyée. «T'as jamais eu peur de foncer», lui raconte son père, avant d'ajouter: «On t'a offert une base solide pour que tu sois libre.»

C'est une pub mignonne comme tout, sauf si on la regarde pendant le reportage d'Enquête sur la violence faite aux femmes autochtones de Val-d'Or. Diffusé jeudi dernier, le reportage de Josée Dupuis a créé un électrochoc et déclenché une crise politique, incriminant plus d'une douzaine de policiers de la Sûreté du Québec (SQ) de Val-d'Or pour abus de pouvoir, voies de fait et, d'au moins selon deux victimes, agressions sexuelles.

Tout au long de la pub de Desjardins, je pensais à une des victimes, Bianca Moushoun, jeune autochtone d'à peine 20 ans qui, contrairement à la petite Gabrielle, n'a sans doute pas eu une enfance choyée, heureuse et protégée, ni de parents qui lui ont offert une base solide pour qu'elle soit libre. Bianca, comme des milliers d'autres femmes autochtones au pays, n'a rien reçu en héritage, sinon la misère, la pauvreté, le manque d'estime de soi, le mépris et l'indifférence, toutes choses friables et douloureuses qui empêchent d'être libre.

Ce que nous avons fait aux femmes autochtones de ce pays est innommable, honteux, odieux, abject. Nous le savons en notre âme et conscience, mais nous choisissons de l'oublier, de le pousser sous le tapis, de faire comme si ça n'existait pas. Et puis arrive un rappel comme celui d'Enquête; notre mauvaise conscience et notre culpabilité se réveillent, et ultimement nous aveuglent. Car après avoir fermé les yeux et fait semblant de ne rien voir, voilà que nous sommes prêts à tout croire. Tout. Surtout le pire.

Et le pire, dans ce cas-ci, ce sont les agressions sexuelles, ou comme le dit très poliment le patron de la SQ, l'inconduite sexuelle des agents de la SQ.

Si le reportage a autant choqué et semé l'émoi, c'est d'abord à cause des accusations d'agressions sexuelles lancées par deux victimes: Angela King, qui aurait été violée au poste de police de Val-d'Or par un policier il y a 20 ans, et Bianca Moushoun, qui aurait été forcée de faire des fellations au fond d'un sentier dans la forêt à sept agents de la SQ. Sept!

Exception faite de ces deux-là, les autres autochtones du reportage parlent de rapports avec les policiers du coin pétris de violence, d'abus de pouvoir, d'humiliation, mais pas d'agressions sexuelles.

Pourtant, ce qui choque depuis jeudi, ce qui a fait couler les larmes de la ministre et provoqué la suspension des agents de la SQ, ce sont les allégations d'agressions sexuelles.

Il y a deux raisons à cela. D'abord, le montage du reportage. D'entrée de jeu, dans le teaser de l'émission, il n'est question que des agressions sexuelles. Puis, dans la première partie du reportage, qui porte en principe sur la disparition de Cindy Ruperthouse, Bianca évoque déjà à la caméra les sept fellations aux sept agents. Elle revient dans la deuxième partie, en expliquant cette fois comment ça se passait et combien chaque agent la payait. Trois fois en moins de vingt minutes, le montage nous martèle qu'à Val-d'Or, les agents de la SQ sont des agresseurs et des violeurs. À raison? Je me le demande.

Imaginer que des policiers ont saoulé Bianca avec les caisses de bière dans le coffre de leur véhicule, puis qu'ils l'ont entraînée à l'écart dans la forêt pour qu'elle leur fasse une fellation payée avec du fric (200$) ou de la drogue, cela donne envie de vomir. Mais pour être franche, je n'arrive pas à l'imaginer. C'est trop gros, trop grave, trop barbare.

Si cette histoire impliquait un policier pourri ou, à la limite, un deuxième complice, elle serait aussi abjecte, mais crédible. Mais sept flics, c'est de la folie pure! C'est insensé. D'ailleurs, comment expliquer qu'Edith Cloutier, elle-même à moitié algonquine et directrice depuis des années du centre où se réunissent les femmes autochtones, l'ignorait? N'aurait-elle pas dû être la première à le savoir?

Tout le reste qui est reproché aux policiers - le racisme, la violence, l'abandon des filles en pleine nuit, en plein hiver, au bout d'une route perdue à des kilomètres de chez elles, pour qu'elles dessaoulent -, j'y crois. Mais que sept flics, d'un commun accord, agressent une jeune fille de cette manière, aujourd'hui en 2015, je n'arrive pas à y croire. Ou du moins, il me faut un peu plus de faits que ceux énoncés dans le reportage. Ceux-ci manquent cruellement au reportage et vont manquer davantage dans la suite des choses.

En effet, si jamais Bianca est appelée à témoigner à ce sujet, ce sera sa parole contre celle des flics. Or, faute de preuves ou de témoins, les allégations d'agressions sexuelles vont tomber et on ne sera pas plus avancés. Tout ça pour ça?

Heureusement, tout n'est pas perdu. Car dans cette histoire comme dans bien d'autres, le sexe aura servi d'appât. Son parfum sordide aura réussi à attirer l'attention du public, à réveiller la ministre et à imposer un changement de mentalités. Il y aura une ou des enquêtes, des sanctions et, avec un peu de chance, un début de respect pour les femmes autochtones. Et pour une fois, une rare fois, nous donnerons peut-être à Bianca Moushoun une base solide pour commencer à être libre.