À au moins deux reprises dans le recueil d'entretiens sur les médias québécois dirigé par Marie-France Bazzo, il est question du Titanic. L'image sort d'abord de la bouche de Claude Thibodeau, ex-proprio et bonze de la radio privée, recyclé en consultant médiatique.

Dans De quels médias le Québec a-t-il besoin?, il affirme: «Les médias québécois ne sont pas encore morts, mais vous savez, il y avait des gens qui faisaient le party sur le Titanic une heure avant qu'il coule... Au Québec, bien sûr, notre modèle est, oui, plus grégaire. Nous sommes davantage une tribu, un peu plus homogènes, ça facilite peut-être les choses, mais il n'en demeure pas moins que le Titanic coule lentement.»

Puis ce sera au tour de Philippe Lamarre, éditeur d'Urbania, de ramener l'image naufrageuse: «Ce que je vois poindre est une chute générationnelle parce qu'en ce moment, les baby-boomers qui sont aux postes décisionnels ne voient pas la tempête - ils sont en train de jouer du violon sur le Titanic

Quand ça va mal, ça va mal. Et si je me fie à cet ouvrage, le quatrième que Bazzo dirige, cette fois avec la collaboration de ma collègue Nathalie Collard, les médias québécois sont en piteux état et condamnés, à plus ou moins long terme, à être rayés de la carte et à couler à pic au fond de l'océan froid de la révolution numérique.

En tout, 14 acteurs ou commentateurs de la scène médiatique ont été interviewés, soit par Bazzo, soit par Nathalie Collard. Quant à René Daniel Dubois, dont le nom apparaît en couverture, j'en déduis, comme il n'a mené aucune entrevue, qu'il n'a fait que retranscrire dans un bon français les entrevues - ce qui est un peu un gaspillage de talent, mais ça, c'est une autre histoire.

3 femmes, 11 hommes

Toujours est-il qu'ils sont quatorze, onze messieurs et seulement trois dames, un déficit un brin décevant pour un ouvrage du genre, mais passons. Outre Brigitte Coutu, Elizabeth Plank et Myriam Ségal, les 11 messieurs forment un bouquet des plus élastiques, puisqu'ils vont de Paul Arcand à Richard Desjardins en passant par Ricardo et Florian Sauvageau. Les questions qui leur sont posées sont simples et pertinentes. Elles reflètent bien la crise que traversent tous les médias en ce moment, pas seulement les médias québécois.

Il n'en demeure pas moins que ce qui me dérange dans ce portrait de groupe, c'est le choix de certains intervenants. Ricardo est un génie dans son domaine, mais comme analyste médiatique, on repassera. À l'inverse, Florian Sauvageau a tellement analysé les médias qu'on a souvent l'impression qu'il répète le même boniment depuis 100 ans.

Quant à Patrick Beauduin, ex-publicitaire et ex-directeur général de la radio publique, il est mal placé pour faire la leçon aux médias. En poste pendant à peine deux ans et demi, Beauduin a fait chuter les cotes d'écoute de la radio publique en voulant soi-disant rajeunir l'auditoire. Il n'a pas réussi à sauver Bande à part, qui était pourtant son émission fétiche. Il a aussi fait fuir Christiane Charette et a ramené Bazzo le matin avec les résultats que l'on connaît.

Bref, sa feuille de route à la radio publique est loin d'être exemplaire. L'eût-elle été, j'aurais moins tiqué en lisant son attaque en règle contre le journal pour lequel je travaille.

«Ce que je reproche à l'information, affirme-t-il à Bazzo, c'est sa fainéantise. J'ouvre La Presse et si je n'ai pas un Foglia qui me permet de regarder Ebola sous un autre angle, je n'ai rien à lire. Strictement rien: tout ce qu'il y a là, je l'ai déjà lu ou entendu.»

Du grand rien?

Accusez-moi de prêcher pour ma paroisse, mais je refuse cette affirmation à l'emporte-pièce, inutilement baveuse, qui massacre les efforts de mes camarades.

Les primeurs de Denis Lessard, c'est rien? Les reportages d'Isabelle Hachey, rien aussi? Ceux de Michèle Ouimet, de Hugo Meunier et d'Agnès Gruda, rien non plus?

Et que dire des chroniques de Boisvert ou de Lagacé? Ça aussi, c'est du grand rien? Venant d'un prix Pulitzer en journalisme, j'accepterais la critique, mais certainement pas de Patrick Beauduin.

Bien des reproches peuvent être adressés aux médias québécois, y compris à La Presse. Mais souvent, dans cet ouvrage, les gens interviewés se lancent dans des généralités puisées dans une sorte de perception ambiante ou de magma inconscient qui n'est pas toujours raccord avec la réalité.

Plusieurs interlocuteurs déplorent, par exemple, l'absence de couverture internationale des médias québécois. Mais bon Dieu, qu'est-ce que ça leur prend?

À ce que je sache, plusieurs correspondants étrangers de Radio-Canada sont toujours en place et La Presse, au cours des dernières années, n'a cessé de dépêcher des journalistes dans les coins les plus chauds de la planète.

Est-ce que notre couverture est l'égale de celle du New York Times? Non, évidemment. Mais compte tenu de nos moyens et de notre marché, nous ne faisons pas si mal.

Pourrions-nous faire mieux? Bien sûr.

Mais de grâce, tenons compte des acquis.

Autorité morale

Cela dit, les propos les plus rafraîchissants dans ce recueil viennent de l'éditeur d'Urbania, Philippe Lamarre, qui dit qu'un média, c'est une autorité morale qui communique du contenu et qui se construit une crédibilité, ajoutant que les jeunes ne veulent pas un média en particulier, mais plein de médias avec ce contenu et cette crédibilité.

Il dit aussi que ce dont les médias ont le plus besoin, c'est d'apprendre à raconter des histoires de façon intéressante. Bien d'accord avec lui. D'accord aussi avec Paul Arcand, qui dit que ce dont nos médias ont besoin, c'est d'air, de qualité et de liberté.

Est-ce que la lecture de cet ouvrage nous aide à y voir plus clair? Pas sûre. En revanche, sa lecture nous permet de nous poser quelques questions. Et de passer le temps pendant que le Titanic coule.