Des lunettes 3D dans un festival de cinéma ? Un film de Ridley Scott dans ce même festival ? Sans doute que les programmateurs de Cannes ou de Venise passeraient leur tour. Mais nous sommes au Festival du film de Toronto, là où les films américains - grands ou petits, productions indépendantes ou franchises de studios - sont rois.

C'est ainsi que The Martian, la superproduction de 108 millions US de Ridley Scott, le père d'Alien, Blade Runner et Prometheus, s'est retrouvé hier en vedette au théâtre Princess of Wales.

Avant même le début de la projection, le film avait été rebaptisé Saving Private Martian, en référence au film de Steven Spielberg, Saving Private Ryan, ce soldat échoué en camp ennemi qu'un bataillon est chargé de sauver.

Or, s'il est vrai qu'une mission de sauvetage sera organisée pour sauver Matt Damon dans le rôle de Mark Watney, un astronaute abandonné par accident sur Mars par son équipage, le sauvetage arrive à la fin des deux heures du film. Le reste du temps, Matt Damon doit apprendre à survivre sur Mars, notamment en recréant à l'intérieur du camp de base de la NASA une plantation de pommes de terre ou en recyclant du vieux matériel informatique et quelques kilos d'uranium.

Le film est l'adaptation du roman du même titre d'Andy Weir. Les comparaisons avec Gravity et Interstellar, deux films de science-fiction récents où les héros perdus dans l'espace flottent comme des ballons, ont été évoquées par les médias. Un journaliste voulait savoir ce que Ridley Scott avait pensé de Gravity d'Alfonso Cuarón, une façon polie de lui rappeler qu'il arrivait dans l'espace en retard. Mais le réalisateur a répondu que le vrai père de la science-fiction était Stanley Kubrick, avec son 2001 : l'odyssée de l'espace.

« Ce film-là [2001 : l'odyssée de l'espace] m'a causé non seulement un choc, mais aussi du chagrin. Je me disais qu'après cela, je ne pourrais plus rien inventer. Puis il y a eu Star Wars, qui a aussi été une grande influence. Bref, nous descendons tous du même héritage, y compris Gravity, que j'ai adoré. » - Ridley Scott, réalisateur de The Martian

Au départ, c'est Drew Goddard, un des producteurs et scénaristes de la série Lost, qui devait réaliser le film. Mais son nom a pour ainsi dire plombé le projet. Ce n'est que lorsque Ridley Scott, qui signe ici son quatrième film de science-fiction, a embarqué avec l'acteur Matt Damon que le projet a décollé. Les deux ont été rejoints par une distribution cinq étoiles réunissant Jessica Chastain, Kate Mara, Jeff Daniels et Chiwetel Ejiofor, la vedette de 12 Years a Slave.

On parle de science-fiction, mais tous les membres de l'équipe qui étaient à la conférence de presse - les 13 - ont insisté sur l'aspect science plutôt que fiction de l'entreprise. Les solutions que trouve Matt Damon pour survivre sur Mars sont non seulement plausibles, mais elles sont scientifiquement fondées et approuvées par la NASA, affirment-ils. « Les gens qui iront un jour vivre sur Mars pourraient s'en servir », a plaidé le réalisateur.

Le volet terrestre du film a été filmé dans des studios à Budapest. Le volet martien, dans la vallée de la lune, en Jordanie.

Matt Damon a évoqué le défi de tourner presque tout le film tout seul, sans autre acteur à qui donner la réplique. « Enfin, je n'étais pas entièrement livré à moi-même puisque Ridley était toujours à mes côtés... avec ses quatre caméras à la fois, mais c'est vrai que ce soliloque était une expérience que je n'avais jamais tentée auparavant. »

Pour dynamiser son manque d'interaction et sa solitude, l'astronaute se confesse continuellement à la caméra de la station spatiale, ce qui donne par moments à ce film l'aspect d'un long selfie de deux heures. Reste que c'est l'aspect du film le plus réussi. Ce qui l'est moins, c'est la morale américaine qui prévaut tout au long du film.

Tous les personnages sont bons et braves. Celui de Matt Damon éprouve une pointe de découragement pendant un quart de seconde, malgré sa situation particulièrement calamiteuse, après quoi il retrousse ses manches et organise sa petite vie sur Mars en écoutant du mauvais disco et en sifflant.

Quant aux membres de l'équipage qui, sans faire exprès, l'ont abandonné et laissé pour mort après une violente tempête, la culpabilité les ronge. Lorsqu'ils apprendront à mi-chemin de leur retour sur Terre qu'il est encore vivant, ils n'hésiteront pas à faire demi-tour pour aller le sauver.

Au moins, dans Saving Private Ryan, les soldats se posaient une ou deux questions, du genre : est-ce que ça vaut la peine de risquer la mort d'un bataillon au complet pour sauver un seul individu ?

Mais les questions existentielles ne sont pas le fort de Ridley Scott. Tout le monde dans son film est prêt à mourir pour sauver monsieur Selfie. Une fois de plus, les belles valeurs américaines de partage et de solidarité triomphent. L'ennui, c'est que ces belles valeurs, nous avons de plus en plus de difficulté à les trouver au sein de la société américaine. Par moments, on a même la nette impression qu'elles n'existent plus qu'à un seul endroit : au cinéma.