Pouvez-vous m'aider à prononcer correctement le nom de Jean-Marc Vallée? m'a demandé la journaliste du réseau NTDTV, une jolie Chinoise en robe d'un rose virulent. Elle ne savait pas comment prononcer son nom, mais elle semblait savoir qu'au TIFF, Jean-Marc Vallée est un enfant chéri, un fils aimé, puisqu'il y a présenté sept de ses films et que ceux-ci y ont toujours reçu un accueil plus qu'enthousiaste. Hier soir, son tout dernier film, Demolition, avec Jake Gyllenhaal et Naomi Watts, faisait l'ouverture, un privilège, mais aussi une arme à deux tranchants. Certains affirment en effet que faire l'ouverture du TIFF porte malheur ou, du moins, nuit considérablement à ses chances de se retrouver en lice pour un Oscar. Mais lorsque Jean-Marc Vallée est finalement apparu sur le tapis rouge, à cinq minutes de sa première, les Oscars semblaient être le cadet de ses soucis.

Les journalistes se sont rués sur lui. À peine avais-je eu le temps de le saluer que, déjà, il avait disparu. Idem pour Naomi Watts, drapée dans une robe froufroutante beige signée Balmain qui ne lui allait pas à merveille. Quant au beau Jake Gyllenhaal, interrogé sur sa manie de tourner avec des réalisateurs québécois, il a répondu que Denis (Villeneuve) et Jean-Marc (Vallée) étaient de chics types, animés par un sens artistique et un besoin d'expression séduisants et qu'en plus, ils ne se prenaient pas trop la tête. Mais la vraie histoire sur ce tapis rouge, hier soir, c'était le directeur photo Yves Bélanger. Arrivé une bonne heure avant ses camarades, il a multiplié les entrevues et les anecdotes savoureuses. C'est grâce à lui que j'ai su que Demolition avait été tourné dans les mêmes conditions que Dallas Buyers Club, c'est-à-dire sans éclairage et avec une caméra à l'épaule, mais, a-t-il ajouté, «avec un plus gros budget, environ 12 millions. Et comme nous tournions sur Wall Street, nos comédiens portaient des suits à 2000 $ et on tournait dans des maisons qui valaient 22 millions.»

Selon le très volubile et sympathique directeur photo, Demolition est un drame psychologique des années 70 mais monté comme un thriller d'aujourd'hui. Selon le producteur Russ Smith, seul Jean-Marc Vallée pouvait le réaliser. Le producteur qui a entre autres produit le délicieux Juno a craqué pour Vallée au TIFF. «On était au TIFF. On est allés voir Café de Flore, et en sortant, on s'est dit qu'on tenait notre homme pour réaliser le scénario de Demolition

Tant pis si l'homme en question n'était pas disponible. Le producteur a laissé passer les trains et les deux autres films de Vallée avant de pouvoir travailler avec lui. Voilà pour la petite histoire. Pour la grande, disons que débarquer au TIFF quelques jours seulement après la fin du FFM peut causer un choc. C'est ce que j'ai ressenti sur le tapis rouge.

C'est ce que j'ai ressenti quelques heures plus tôt, en franchissant le seuil du Bell LightBox, le centre nerveux du festival, sous un soleil de plomb et dans une chaleur quasi tropicale.

Pour résumer, le TIFF est au pôle Sud du FFM. C'est son parfait contraire, son inverse, son antithèse. Autant le FFM éprouve des difficultés financières, autant l'argent au TIFF pousse dans les arbres et suinte de partout, y compris dans cet extraordinaire mur de fleurs fraîches (1950 en tout) érigé au milieu du vaste hall d'entrée du siège social du TIFF. Ici, on ne donne pas le programme des 399 films qui seront présentés. On le vend 40 $, tout comme on vend des tasses, des casquettes, des stylos, des t-shirts et mille autres bébelles à l'effigie du TIFF.

Bref, de l'argent, des mécènes et des commanditaires, il n'en manque pas. Des journalistes étrangers non plus. Au FFM, ils sont à peine une douzaine, et cela quand ils ne vivent pas à Montréal, ce qui est le cas de certains. Au TIFF, on ne sait pas exactement combien d'entreprises de presse sont présentes. On sait seulement que cette année seulement, plus de mille journalistes ont été accrédités. Mille!

J'aimerais pouvoir écrire que l'argent a gâté la sauce et tué l'âme du TIFF, qui fête ses 40 ans. Mais il n'en est rien. Il règne ici une ambiance et une fièvre qui ne sont pas calmées avec le temps. Sans compter que depuis deux ans, au festival de films, s'ajoute maintenant un festival de rue. La rue King, épicentre du festival, est fermée pendant quatre jours et décorée d'immenses ballons orange à l'effigie du TIFF. Tous les restos de la rue, et Dieu sait s'ils sont nombreux, ont aménagé des terrasses illuminées. C'est chouette, c'est sympa, et on ne reconnaît plus Toronto, cette ex-ville morne, devenue pendant le TIFF une métropole franchement trépidante.

À 40 ans, le TIFF est comme une belle femme au sommet de sa forme prête à courir un marathon de dix jours et de kilomètres de pellicule. Un marathon qui fait peut-être la part trop belle au cinéma américain et à ses stars. Mais quel festival serait assez fou pour refuser un film du provocant Michael Moore, dont le dernier film remonte à plus de six ans et qui lançait hier soir Where to Invade Next, sur la manie des Américains de croire que le monde leur appartient et qu'ils peuvent envahir qui bon leur semble? Qui refuserait le dernier film de Ridley Scott, le père d'Alien et de Blade Runner, qui revient au TIFF avec The Martian, l'histoire d'un astronaute coincé sur Mars? Qui refuserait un film sur une activiste lesbienne et sa compagne avec Julianne Moore et Ellen Page dans les rôles-titres? On aura beau dire que le TIFF est américanisé à l'os, il l'est surtout pour les bons films américains.

Quant à la course aux Oscars, en principe, Demolition de Jean-Marc Vallée en sera exclu, puisque la sortie de son film est prévue pour avril 2016. Mais il peut se passer bien des choses au TIFF. Comme me l'a si bien dit le producteur du film: mieux vaut devancer la date de sortie d'un film que la reporter.» Si j'ai bien compris, c'est ce qui risque d'arriver au film de l'enfant chéri du TIFF.