Serge Losique devra-t-il tôt ou tard quitter la barre du FFM qu'il a fondé en 1977? Oui, absolument. L'homme a 80 ans passés. Cela fait plus de 40 ans qu'il tient ce festival à bout de bras, contre vents contraires et controverses et contre un manque d'argent de plus en plus criant.

Son départ est inévitable, inéluctable. Lui-même en est pleinement conscient.

Doit-on pour autant le congédier manu militari? Le pousser brutalement vers la sortie comme le souhaite Denis Coderre qui à mots couverts, hier, a demandé à Losique de se retirer du FFM en vue de sauver le 40e du festival l'an prochain? Je doute que ce soit la bonne manière. Il est évident que Serge Losique doit partir, mais pas maintenant et pas comme ça.

Le maire Coderre a beau vouloir mettre ses culottes de maire, il n'est pas obligé, en plus, d'enfiler ses gros sabots. Un festival de cinéma n'est pas un club de baseball, et un directeur de festival n'est pas un entraîneur qu'on peut congédier du jour au lendemain sans qu'il y ait de sérieuses répercussions.

La force de Losique, ce sont ses nombreux contacts à travers le monde et notamment avec les pays asiatiques qui, chaque année, se précipitent à son festival et sont prêts à vendre leur mère pour y participer.

Or, imaginons que Serge Losique prenne le maire au mot et parte sur-le-champ demain ou disons au lendemain de la fin du 39e festival. Qu'est-ce qui se passe? Il ne se passe strictement rien, sinon que le bureau de Losique est vide et que tous les contacts et liens qu'il a tissés pendant 40 ans à coups de jeux diplomatiques, de retours d'ascenseur et d'entreprises de séduction s'envolent en fumée.

Il se passe que tout est à recommencer à zéro et dans des conditions autrement plus complexes et compliquées qu'en 1977, quand le festival est né.

Que faire alors? D'abord, avant de foutre Serge Losique à la porte, il faut lui trouver un successeur, un vrai, qui saura prendre la relève avec la même passion, la même dévotion et une idée claire de ce qu'il ou elle veut faire de ce festival. Tant mieux si c'est le tandem Gilbert Rozon et Maxime Rémillard.

En attendant, le festival ne peut pas se permettre de laisser les choses aller. Un festival se prépare des mois à l'avance et il faudra bien dans ces mois de grand flottement, avant la venue du messie, que Serge Losique continue d'une manière ou d'une autre de veiller au grain tout en préparant sa sortie.

C'est du moins ce que croit Michel Nadeau, qui a quitté le conseil d'administration du FFM il y a quatre mois parce qu'il ne s'y sentait plus utile.

Nadeau estime que l'important, c'est de commencer à penser à un plan de relève et de transition «avec» Serge Losique.

«Il est là depuis 39 ans, ce n'est pas vrai qu'on va lui montrer la porte comme ça. Ce qu'il faut, c'est que le cartel anti-Losique mené par la Ville de Montréal et la SODEC réussisse à outrepasser son animosité viscérale à l'égard de Losique et négocie avec lui un plan de deux ans menant à son départ. Et comme ce sont eux qui ont l'argent, ils auront le pouvoir d'imposer des conditions à Serge et de lui faire entendre raison comme moi je n'ai jamais réussi à le faire.»

Michel Nadeau n'a pas tort. Éliminer Losique de but en blanc n'a aucun sens. Négocier une sortie honorable avec lui est la seule solution viable. Il reste toutefois deux grandes inconnues: la place du FFM sur la carte mondiale des festivals et dans le coeur des Montréalais.

À l'échelle mondiale, il est évident que le FFM a perdu du lustre et amorcé un déclin que la venue d'autres festivals plus jeunes et performants comme Sundance, Telluride, New York ou même Toronto n'a fait qu'accentuer. Lui redonner du lustre et du prestige sera ardu.

Quant au coeur des Montréalais, ce n'est plus un secret pour personne: les abonnés du FFM sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. Un jour, le public a tout bonnement cessé de se renouveler et fatalement de rajeunir.

Avec Losique ou avec son successeur, comment attirer une nouvelle clientèle avec des films étrangers réalisés par des cinéastes certes doués mais inconnus, dont les personnages sont interprétés par des acteurs aussi inconnus qu'eux?

Comment surtout opérer ce miracle à une époque où la nouvelle génération n'en a que pour les blockbusters et les stars de Hollywood?

Si le FFM veut garder sa vocation et demeurer ce festival ouvert sur le monde, ce buffet chinois, comme l'a qualifié Dany Laferrière, où le pluralisme et la diversité culturelle font loi, il faudra résoudre la question des nouvelles générations: comment les intéresser à d'autres cinémas que le cinéma américain et surtout comment les attirer dans la salle de cinéma loin de leurs écrans privés?

En attendant, au lieu de chasser Losique comme un malotru, donnons-lui du temps: du temps et un peu de respect.