Dimanche dernier, jour J du référendum en Grèce, le pianiste Alain Lefèvre s'est levé tôt. Il a quitté la maison en banlieue d'Athènes prêtée par des amis et il est allé marcher dans la ville, prendre le pouls des Athéniens. Or, contre toute attente et bien que leur avenir au sein de l'Europe fût en train de se jouer, les Athéniens étaient calmes et sereins.

Ce jour-là, Alain Lefèvre a su que sa décision de s'établir à Athènes pour les prochaines années n'était pas une mauvaise décision. Une décision risquée, peut-être, mais, finalement, enrichissante.

Pourtant, les dernières semaines n'ont pas été de tout repos. D'abord, le concert que le pianiste devait donner en ouverture du Festival d'Athènes, lundi, a été annulé à la dernière minute, même s'il affichait complet.

Depuis, les annulations au Festival se succèdent tous les jours. Et puis, comme une malchance n'arrive jamais seule, l'argent de la vente de son appartement montréalais demeure gelé dans une banque grecque depuis quelques semaines. Heureusement, les ouvriers chargés de rénover l'appartement en banlieue d'Athènes où Alain et sa fidèle Jojo vont s'installer continuent malgré tout.

«Je pourrais être le gars le plus déprimé de la Terre et m'en vouloir d'avoir décidé de m'établir dans un pays qui traverse une de ses pires crises, mais ce n'est pas dans ma nature de regretter ou d'être lâche face aux gens qui souffrent. J'ai peut-être choisi un pays qui est en train de péter au frette, mais je m'assume parce que j'aime la Grèce et que les Grecs m'émeuvent profondément», affirme Alain Lefèvre, de retour à Montréal depuis 24 heures.

C'est la première fois en fait que le pianiste revient en ville depuis qu'il a vendu son appartement du Vieux-Montréal. Sans domicile fixe, il s'est installé dans un hôtel à un jet de pierre de son ancienne demeure, ce qui n'est pas sans lui procurer un sentiment de grande étrangeté. Mais comme il le concède lui-même, l'aventure, c'est l'aventure. En cours de route, l'ex-Montréalais et éternel amoureux du Québec s'est mué en ardent défenseur de la Grèce et des Grecs.

«Ce qui me heurte le plus, ce sont toutes les faussetés et les infos approximatives qui circulent en ce moment sur les Grecs, à savoir qu'ils sont paresseux, ce qui est complètement faux. Ce sont des gens travaillants comme pas un. On dit qu'ils sont corrompus, mais que dire de nos histoires de corruption à nous ou de celles de la France et de tant d'autres pays? La Grèce est un petit pays de 11 millions d'habitants. Vouloir comparer son économie de pamplemousses et d'olives à une économie de canons ou de production de pétrole est absurde et injuste.»

Depuis plusieurs mois déjà, Alain Lefèvre a choisi son camp. Il affirme qu'il n'a jamais cru au vote divisé annoncé par les principales chaînes d'infos avant le référendum. Pour lui, c'était évident que les Grecs allaient voter massivement non.

«J'ai des amis très riches et même eux ont voté non. Et pas pour quitter la zone euro, mais bien pour arriver à la table de négociations avec une force de frappe. C'était mal connaître les Grecs que de penser qu'ils allaient plier l'échine devant l'Europe. C'est un peuple fier qui a du cran.»

Si le pianiste ne tarit pas d'éloges à l'égard de ses nouveaux compatriotes, il en va autrement de l'Allemagne et des Allemands, les principaux créanciers de là Grèce.

«De tout temps - et c'est amplement documenté -, les Allemands ont été des mauvais payeurs. Non seulement on a effacé leurs dettes à la Première et à la Deuxième Guerre mondiale, mais on leur a offert le plan Marshall. Ce sont eux qui ont construit l'aéroport d'Athènes et ils n'ont jamais payé les 20 milliards en taxes qu'ils devaient à la Grèce. Le plus gros problème des Allemands, en ce moment, c'est la population vieillissante et les régimes de retraite. Les Grecs, pour leur part, ont dit qu'ils ne toucheront pas à leurs propres régimes de retraite, mais ils n'auront pas le choix.»

Alain Lefèvre pourrait parler de la crise qui secoue la Grèce pendant des heures, mais d'ici le mois d'août, il n'aura pas vraiment le temps. Entre les enregistrements de ses émissions pour Espace Musique, il sera en concert aux États-Unis et aux festivals d'Orford (18 juillet) et de Lanaudière (31 juillet). Début août, il repartira pour Athènes et pour le petit café sur le bord de la plage où Dimitris lui sert un café et lui roule ses cigarettes en le remerciant à tout coup de ne pas quitter la Grèce et d'aimer son pays.

«Je ne veux pas être jovialiste, conclut Alain Lefèvre. Je sais que les mois qui viennent seront difficiles, mais j'ai pris une décision et je vais la tenir jusqu'au bout.»

On en reparlera sans doute dans un an, mais d'ici là, l'aventure grecque de M. Lefèvre se poursuit.