J'ai souri hier en entendant plusieurs commentateurs affirmer que Jacques Parizeau aimait la culture et qu'il était un homme cultivé. J'ai souri parce que personne ne semblait se rappeler que Jacques Parizeau aimait tellement la culture qu'il s'était autoproclamé ministre de la Culture. Pendant six mois, du 30 janvier 1995 au 3 août de la même année, le premier ministre du Québec a aussi été le ministre titulaire des Affaires culturelles. Autant dire que c'était du jamais vu dans les annales du gouvernement.

Je me souviens être tombée en bas de ma chaise en l'apprenant. Je me souviens aussi avoir accueilli ce précédent historique avec une bonne dose de scepticisme, craignant que Monsieur ne soit qu'un ministre d'apparat, ou pis encore: un tyran qui soumet les créateurs québécois à une véritable dictature culturelle.

J'avais tort, évidemment. Il n'y a eu aucune dictature culturelle et Monsieur ne s'avéra pas un tyran. Il ne fut pas non plus un ministre de la Culture exceptionnel. Il fit certes avancer certains dossiers et permit notamment au TNM de se lancer dans des rénovations majeures qui attendaient un feu vert depuis une éternité.

Reste qu'en s'appropriant le ministère de la Culture, Jacques Parizeau a envoyé un message clair et crucial, à savoir que la culture, ce n'est pas de la confiture ni de la nourriture pour chats. La culture, c'est important. La culture, c'est à la fois le ciment de la société et le code-barres de notre identité collective.

À l'époque, Jacques Parizeau avait quelques bonnes raisons de se préoccuper de culture, et ce n'était pas uniquement pour une question référendaire. Cela faisait des mois que les affaires culturelles étaient malmenées par une série de mauvaises nominations, dont celle de Rita Dionne-Marsolais, la dernière titulaire du poste avant lui.

Cette technocrate, plus férue de chiffres que de lettres, avait accumulé gaffe sur gaffe, pris des décisions douteuses et lancé des accusations de conflits d'intérêts contre l'ensemble du milieu culturel. La dame tenait pour acquis que le milieu culturel était par essence incestueux. Dans son esprit, le milieu des arts nageait perpétuellement dans des conflits d'intérêts dont les autres milieux - économiques, politiques, universitaires ou scientifiques - étaient à ses yeux exempts. Elle fit long feu, comme on dit, de même que ses deux prédécesseurs.

Je ne me souviens pas de coupures de ruban, de pelletées de terre ni de décisions précises prises par Jacques Parizeau du temps qu'il était ministre de la Culture. En revanche, je me souviens du passage particulièrement pénible de Monsieur, alias Belette vibrante, à l'émission Politiquement direct de MusiquePlus. Le premier ministre, soucieux de se rapprocher des jeunes, s'était présenté à l'émission de bonne foi. Il y avait été traité avec une familiarité et un sans-gêne navrants.

Je me souviens enfin de notre dernière rencontre dans un recoin de l'hôtel Hilton Bonaventure. C'était il y a six ans, au beau milieu du cinquième Sommet du jeu vidéo de Montréal. Une poignée de geeks, trop jeunes pour l'avoir connu premier ministre, mais néanmoins respectueux et bien informés, étaient venus lui serrer la pince.

La veille, Parizeau avait lancé son livre-testament, La souveraineté du Québec: Hier, aujourd'hui et demain.

Il avait dressé une courte liste de journalistes qu'il était prêt à rencontrer. Il n'avait peut-être aucune objection à se faire baver par les jeunes bouffons de MusiquePlus, mais il était nettement plus tatillon et méfiant à l'égard des journalistes de La Presse. Et même si ce n'était pas nécessairement un signe de grande probité journalistique d'avoir été choisie par lui pour l'entrevue, j'en fus quand même flattée.

Pendant une heure, la bouche sèche, les lèvres minces et craquelées, le teint blême, cet homme brillant a parlé avec éloquence. Il a parlé sans répit malgré son souffle court. Son optimisme, son enthousiasme et même sa bonhomie étaient étonnants pour un homme dans son état: un homme malade, sachant qu'il allait bientôt mourir et assuré de ne pas voir son rêve d'indépendance se réaliser.

Mais Jacques Parizeau était assez intelligent et lucide pour comprendre que la vie et le monde ne s'arrêteraient pas avec lui. Il savait que l'avenir dure longtemps, comme il l'avait lui-même si bien dit.

Au bout d'une heure, la caméra s'est éteinte. Monsieur s'est levé péniblement, a remis son paletot et, en prenant appui sur sa canne comme un vieillard, il est reparti lentement vers son destin.

En le suivant du regard, j'ai cru ce jour-là qu'il allait mourir dans les jours ou les mois à venir. Il a vécu six autres années. Il avait bien raison. L'avenir dure longtemps, même quand rien ne va plus.