Pas facile de partager la scène avec Alec Baldwin. D'abord, la star américaine a du charisme à revendre, de l'éloquence, un sens de l'humour diabolique et un sens de la dérision salutaire.

Bref, il faut se lever de bonne heure pour être à sa hauteur, comme a pu le constater maestro Kent Nagano, qui était l'invité surprise d'une conférence qu'Alec Baldwin donnait mardi en fin de journée à C2Mtl.

Une heure plus tard, toujours à C2Mtl, c'était au tour de l'acteur et humoriste Patrick Huard de se mesurer à la star américaine lors d'une conférence privée organisée par Téléfilm Canada pour les gens de cinéma. Patrick avait été invité à partager et à comparer son expérience d'acteur avec la vedette de 30 Rock et animateur chouchou de Saturday Night Live, une émission qu'Alec Baldwin a animée seize fois.

Dans un cas comme l'autre, Alec Baldwin s'est montré poli envers ces deux invités, mais il leur a néanmoins volé la vedette chaque fois.

Kent Nagano avait été convié par C2Mtl à cause de la passion d'Alec Baldwin pour la musique classique. Non seulement l'acteur est un grand mélomane, mais il siège au conseil d'administration du New York Philharmonic et il est aussi la voix de leurs campagnes de pub.

Sachant cela, maestro Nagano a voulu jouer de ruse en demandant à Alec Baldwin ce qu'il aurait aimé être s'il avait eu le choix: musicien ou chef d'orchestre? Baldwin s'est écrié: «Chef d'orchestre!», avant de citer la liste des chefs qu'il admire et avec lesquels il est ami, dont Charles Dutoit et sa femme Chantal Juillet, Valery Gergiev, Lorin Maazel, Barenboim etc.

Sautant sur l'occasion, Kent Nagano a alors demandé à l'acteur s'il accepterait d'être un chef invité à l'OSM. Il croyait sans doute que l'acteur n'oserait pas refuser son offre. C'était mal connaître Alec Baldwin. Celui-ci s'est d'abord écrié: «Vous ne trouvez pas que j'ai déjà assez fait un fou de moi comme ça!» Nagano a insisté. La salle bondée d'environ 800 participants a renchéri. «Dites oui! Dites oui!» Mais rien n'y fit.

«J'ai trop de respect pour le métier de chef d'orchestre pour accepter cette invitation», a-t-il poliment et très diplomatiquement conclu, non sans avoir fait l'apologie de l'OSM et de Nagano, demandant aux gens dans la salle de désormais inclure le site internet de l'OSM dans leur liste de favoris.

Tout au public

Pour le reste, tout au long de cette première conférence animée par Andy Nulman de Just for Laughs, Alec Baldwin s'est montré charmant, volubile et un brin philosophe sur une foule de sujets allant des réseaux sociaux qu'il fréquente avec prudence (sauf exception), de son amour des arts, du mécénat qu'il a pratiqué avec l'aide de Capital One, qui lui a permis de distribuer 14 millions à des artistes et à des organismes culturels.

Il a aussi parlé du cinéma grand public, qu'il ne méprise pas du tout, des sitcoms qui sont formidables pour qui veut travailler trois jours par semaine, de la radio publique pour laquelle il a réalisé une pub délirante et de ce qu'un acteur doit à son public: tout, si j'ai bien compris.

Citant Tom Cruise, dont il est un inconditionnel et avec qui il vient de tourner Mission impossible 5, il a dit que le devoir d'un acteur était de donner le meilleur de lui-même au public et surtout de lui en donner pour son argent.

Pourtant, à au moins trois reprises, il est revenu sur le fait qu'il avait 57 ans, qu'il était nouvellement marié, père d'une petite fille de 2 ans et en attente d'un nouveau bébé en juillet. Et que ces temps-ci, c'était ce qui comptait le plus pour lui. Cela en dépit du fait qu'il remonte sur les planches en juin dans un théâtre d'East Hampton pour jouer dans Ils étaient tous mes fils, d'Arthur Miller.

Même s'il affirme adorer la scène, le mode de vie du théâtre ne lui convient pas du tout. «Tous les soirs, pendant trois semaines, je vais être sur scène alors qu'au fond, tout ce dont j'ai envie, c'est être avec ma famille, m'occuper de ma fille et promener mon chien.»

La famille

Une heure plus tard, à côté d'un Patrick Huard dont il reluquait les bras tatoués, il a répété sa rengaine à la gloire de sa famille.

Dans cette deuxième conférence, il fut surtout question de la gloire perdue de la télé, ce feu de foyer autour duquel se réunissait la famille pour regarder Ed SullivanShow ou Papa a raison. Alec Baldwin s'est bien gardé de dire que cette télé-là était mieux que la télé individuelle, personnalisée et accessible en tout temps d'aujourd'hui.

Lorsqu'une jeune actrice lui a demandé s'il avait des conseils à lui donner, il a raconté une anecdote sur Al Pacino, autre acteur dont il est un inconditionnel. «J'étais sur le point de déménager de la cote Ouest à New York et j'ai appelé Al pour qu'il me conseille sur le choix d'un administrateur. Mais Al ne voulait pas de cette responsabilité. Il ne cessait de répéter: «Je ne veux surtout pas te dire quoi faire. Toi c'est toi. Moi c'est moi.»»

La jeune actrice a quand même eu droit à un conseil: «Essaie toujours de te rappeler pourquoi tu as voulu faire ce métier parce qu'en cours de route, tu risques de faire comme moi et de l'oublier.»

Un grand sensible

On ne pourra pas reprocher à Alec Baldwin de manquer de franchise. Contrairement à bien des acteurs, il n'a pas peur d'avouer une relation ambiguë et parfois acrimonieuse avec un métier qui semble l'avoir déçu autant qu'il l'a enchanté.

Au fond, Alec Baldwin n'est pas seulement une grande gueule, comme le veut sa réputation. C'est aussi un grand sensible.

Dans un échange assez symptomatique avec Kent Nagano, il a demandé au maestro comment il réussissait à gérer ses émotions et surtout ses larmes en dirigeant des oeuvres particulièrement poignantes. Nagano a répondu que l'important, c'était que le public pleure, pas lui. Baldwin en a profité pour lancer: «C'est pour ça que je ne peux pas diriger un orchestre: je braillerais tout le temps.»

On n'a jamais su pourquoi, en fin de compte, Alec Baldwin avait accepté de remplacer Kevin Spacey à C2Mtl. Ni pourquoi il a interrompu ses répétitions au théâtre et quitté sa femme, sa fille et son chien pendant 24 heures pour venir à Montréal. Peut-être qu'il avait tout simplement besoin d'un répit. Ou alors besoin d'effacer les mauvais souvenirs de l'affaire Geneviève Sabourin et de montrer qu'il est un bon gars malgré tout.

Si c'est le cas, c'est réussi.