Je ne peux pas croire que c'est reparti. Qu'on est encore en train d'ergoter, de pinailler, de pérorer, de radoter autour de la même foutue question: la question de l'intérêt public. Cette fois, ce n'est plus Joël Legendre qui est en cause, mais Claude 10-4 Poirier, dont mes camarades de La Presse ont révélé samedi, dans un texte super fouillé, les déboires financiers et la saisie qui l'a envoyé dans un motel modeste de la Rive-Sud et, surtout, dans un pays qu'on nomme le déni.

Sitôt le texte publié et mis en ligne, le débat est reparti de plus belle. Est-ce d'intérêt public? Pourquoi les déboires personnels du Négociateur devraient-ils intéresser le commun des mortels? La Presse a-t-elle une fois de plus voulu faire «une job de bras» à un homme qui travaille pour la concurrence? Pourquoi humilier un homme aussi connu en étalant ses malheurs dans le journal? Et caetera, et caetera, et caetera.

Il est vrai que Claude Poirier a toujours été d'une grande discrétion sur sa vie privée. On l'a rarement vu poser avec sa femme, sa progéniture ou son chien (en a-t-il un?) à la une des journaux et des revues à potins. On n'a jamais su ce qu'il faisait de ses temps libres, si tant est qu'il en eût.

En revanche, ce même homme, ce monument de discrétion, a inondé, littéralement inondé, les ondes de sa présence pendant des années. Matin, midi et soir. Été comme hiver. À la radio comme à la télé, à LCN comme à TVA, à CKOI comme au 98,5. Et quand il n'était pas en ondes en vrai, quelqu'un, quelque part, en faisait le personnage récurrent d'une imitation ou carrément d'une série télé.

Bref, depuis de nombreuses années, c'était impossible de ne pas tomber, à un moment ou l'autre de la journée ou de la semaine, sur Claude Poirier ou son clone, y compris dans une pub encore à l'antenne où on peut le voir vanter les mérites des services hypothécaires Alexandre Ouellet. Venant d'un homme dont la maison et la bagnole de luxe ont été saisies pour hypothèques impayées et dettes accumulées, disons que ça laisse à désirer et que ça démontre bien à quel point la pub, parfois, c'est du gros n'importe quoi.

Mais ce n'est pas la raison principale pour laquelle il fallait publier ce texte. Il fallait le publier d'abord parce que les médias qui emploient ou qui employaient Claude Poirier étaient mal placés pour le faire. Seul un média concurrent était en mesure de s'emparer de cette histoire et de la diffuser. Pas seulement au nom de la libre entreprise, mais d'abord et avant tout au nom de la libre circulation de l'information. Si un média ne peut pas révéler une info, c'est à son voisin de prendre le relais et de le faire à sa place. C'est le jeu sain et salutaire de la concurrence, mais aussi de la démocratie.

Mais au-delà de ce principe, il fallait que cette histoire sorte parce que c'est une maudite bonne histoire: une histoire triste, tragique même, mais une histoire qui mérite qu'on la raconte. Parce qu'elle dit un tas de choses sur l'époque, sur la notoriété, sur le demi-monde du showbiz, sur les mirages du succès et sur ces hommes et ces femmes qui ne vivent que pour être sous le feu des projecteurs et qui finissent parfois par s'y brûler les ailes.

Claude Poirier était l'idole de bien des gens, y compris de quelques animateurs vedettes qui lui portaient une affection aussi immense que publique. Quand il a été hospitalisé pour des ennuis cardiaques, puis qu'il s'est absenté pour ses cinq pontages, ceux-ci ont multiplié leurs souhaits et leurs encouragements. Et puis subitement, ce fut silence radio. Plus de Claude Poirier à la télé ou à la radio. Plus de Claude Poirier nulle part.

Aujourd'hui, ces mêmes gens se désolent sur les réseaux sociaux de ce qui est arrivé à leur ami. Mais où étaient-ils, tous ces amis, quand Claude Poirier a commencé à s'enfoncer? Car ses problèmes ne datent pas d'hier. En janvier 2014, sa quotidienne a quitté l'antenne sans que la direction de LCN en souffle mot ni que personne descende dans la rue pour protester.

Où étaient ses amis quand il a perdu son émission, quand des brefs de saisie ont été lancés pour tenter de récupérer chez ses employeurs les sommes que le tribunal lui a ordonné de payer? Où étaient ses amis quand sa femme et lui ont été expulsés de leur maison de Candiac le 25 février 2015, obligés de trouver refuge dans un motel? Où étaient-ils, tous ces bien-pensants, indignés qu'on étale les problèmes de Claude Poirier sur la place publique?

Ceux-ci auront beau s'indigner jusqu'à l'année prochaine, s'ils étaient le moindrement honnêtes, ils reconnaîtraient que les journalistes à La Presse ont rendu un fier service à Claude Poirier. Grâce à leur article, des gens ont déjà commencé à tendre la main à Claude Poirier pour l'aider à sortir du pétrin dans lequel le silence l'avait enfoncé. Et avec un peu de chance, cette triste histoire connaîtra un dénouement un peu plus heureux. On le souhaite de tout coeur à Monsieur 10-4. Il le mérite.