«Tu liras matin et midi, soir et nuit. Tu liras en marchant, en mangeant et en allant aux toilettes; tu liras avec une torche électrique en te cachant sous ton lit; tu liras dans le bus, dans le train et sur le siège arrière de la voiture; si tu pouvais lire en dormant et en jouant du piano, tu le ferais aussi.»

Cet extrait n'est pas tiré des Dix commandements du parfait lecteur. Il est tiré de Bad Girl, le plus récent livre de Nancy Huston. Celle-ci y raconte comment, à 4 ans et demi, au sein de la famille dysfonctionnelle qui l'a vue naître, l'apprentissage de la lecture lui a sauvé la vie.

En lisant ce passage, j'ai pensé à Mark Zuckerberg. À chaque Nouvel An, le fondateur de Facebook prend une résolution qu'il se fait un devoir de tenir. Ainsi, au cours des années passées, a-t-il appris le mandarin, porté une cravate pendant 365 jours et écrit des lettres de remerciement aux gens qui ont fait du bien à l'humanité.

Cette année, ses amis Facebook lui ont proposé une liste de résolutions: donner tout son argent aux pauvres, enseigner dans une école, rencontrer une nouvelle personne par jour, lire la Bible ou lire un livre toutes les deux semaines.

Zuckerberg a choisi le plus simple: un livre toutes les deux semaines. Il a immédiatement créé une page Facebook sous le titre A Year of Books. Une année de livres.

Non seulement tout le monde a applaudi à l'initiative, mais les ventes de sa première suggestion - The End of Power, de Moises Naim - ont explosé.

Imitant Oprah, dont le club de lecture a accouché de millions de lectrices, Zuckerberg a remis au goût du jour la lecture pour une clientèle plus nombreuse et plus jeune qui n'a probablement jamais lu un livre au complet de sa vie tant elle était occupée à gérer son compte Facebook. Magnifique.

Admirable. Bravo!

Qui peut être contre un type puissant et influent qui encourage la vente de livres et, ultimement, la lecture?

Notez le mot ultimement. Car le problème n'est pas d'acheter un livre. Ça, tout le monde peut le faire à répétition et les doigts dans le nez. C'est après que ça se corse. Quand il faut l'ouvrir et le lire. Zuckerberg a beau vanter les mérites du plongeon livresque, ce n'est pas parce qu'on ouvre un livre et qu'on y plonge qu'on nagera longtemps dans la piscine de ses mots.

Combien de livres achetés sur la recommandation d'Oprah, de Debbie ou de Joe Blow forment un édifice instable et poussiéreux sur les tables de chevet de l'Occident, jamais ouverts ou alors lus pendant 10 ou 20 pages avant d'être lâchement abandonnés. J'en sais quelque chose. Depuis que j'ai une tablette et un compte Facebook, je lis trois fois moins de livres qu'avant.

Bref, ce n'est pas parce que Zuckerberg lira 24 livres cette année que ses amis Facebook et les 150 000 qui ont «liké» son projet en feront autant. C'est souhaitable, bien entendu, mais c'est loin d'être garanti.

Ce qui m'amène à une question toute simple. Pourquoi une année? Je veux dire, pourquoi SEULEMENT une année? Y aurait-il une date de péremption à la lecture? Une année et on passe à un autre appel? Une année et c'est réglé?

Quel genre de message tordu Mark Zuckerberg est-il en train de transmettre à ses 30 millions d'amis Facebook en circonscrivant son projet dans le temps? Leur dit-il qu'en fin de compte, s'ils arrivent à lire 24 bouquins en 2015, dès janvier 2016, ils seront dédouanés et pourront enfin se mettre à apprendre le mandarin ou à collectionner les cravates?

S'il était honnête, Mark Zuckerberg aurait reconnu que lire est l'oeuvre d'une vie. Et que la meilleure façon de devenir ou de redevenir un vrai lecteur, c'est de lire tout le temps.

Et s'il était vraiment honnête, il conseillerait à tous ses amis qui veulent lire de fermer, pour une année complète ou deux, leur compte Facebook.

SO-SO-SO, SOLIDARITÉ

Ah non, pas les Dardenne! Leurs films sont plates à mort, s'est écriée l'animatrice au sujet de Deux jours, une nuit, le nouveau film des Dardenne.

L'animatrice n'avait pas complètement tort: ce film des célèbres frères belges avec Marion Cotillard dans le rôle d'une ouvrière dépressive, qui a 48 heures pour convaincre ses camarades d'usine de sacrifier leur prime de 1000 euros pour qu'elle puisse conserver son job, n'est pas un film divertissant ni même très jojo.

Mais c'est un film poignant sur la solidarité ou son absence, qui capte magnifiquement les tourments de la classe moyenne, victime de compressions dont elle est la seule à faire les frais. En fin de compte, le film est peut-être plate, mais il est nécessaire. Tous devraient le voir et, tout particulièrement, ceux qui gagnent trop bien leur vie et qui n'ont aucune idée de ce que vit le vrai monde.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrowski@lapresse.ca