Je suis Charlie: trois mots, un slogan, une prière, le cri du coeur de milliers de gens choqués, horrifiés, atterrés, anéantis par le carnage qui a eu lieu dans les locaux de Charlie Hebdo, tuant douze personnes, dont quatre des plus grands dessinateurs de la France moderne.

Nous sommes Charlie, c'est-à-dire que nous sommes touchés en plein coeur, meurtris dans notre chair et dans notre esprit, foudroyés par la force du symbole qui a été attaqué, mais aussi plus convaincus que jamais qu'il ne faut pas que le silence s'installe, que la peur s'invite et écrase la liberté de la presse et la liberté d'expression.

La seule chose qui menace la liberté de la presse, disait Charb - Stéphane Charbonnier -, le directeur de la rédaction de Charlie qui a été abattu froidement, mais qui est néanmoins mort debout, c'est l'autocensure. Nous sommes Charlie même si nous n'étions pas des abonnés de cette revue satirique qui bouffait du curé comme du Prophète, joyeusement frondeuse et anticléricale, qui, malgré les menaces de mort et les locaux incendiés, continuait de se payer la tête de tous les intégristes et les suprématistes de la Terre.

Nous sommes Charlie, indomptables et insoumis, partout sur les places publiques dans les villes françaises, mais aussi en Espagne, en Italie, en Belgique, à Berlin et ici même à Montréal. Nous sommes Charlie, aujourd'hui en première page de centaines de quotidiens et sur des dizaines de panneaux publicitaires du monde libre.

Nous sommes Charlie par milliers, par millions, à droite comme à gauche, du nord au sud, de l'est à l'ouest, ailleurs comme ici. Nous sommes Charlie, mais surtout, nous devons le demeurer aujourd'hui, demain, dans six mois, l'année prochaine, pour ne jamais donner raison à ceux qui tuent parce qu'on a ri de leur dieu.

Sur une vidéo amateur qui a fait le tour du monde, on les entend très distinctement, ces fous de Dieu, hurler victorieusement en quittant les lieux du carnage: «On a vengé le prophète Mohammed et tué Charlie Hebdo

Mais ce n'est pas vrai. Charb, Cabu, Tignous, Wolinski, Bernard Maris et leurs amis journalistes sont peut-être morts, mais pas Charlie Hebdo.

Dans le sang, le soufre des balles et le fracas des vitres, Charlie Hebdo est plus vivant que jamais; à preuve tous ces rassemblements monstres pour dire le contraire de la mort de Charlie, pour rendre hommage à son esprit, à son humour, à son sens aigu et heureux de la satire.

Les terroristes n'ont pas gagné ni vengé le Prophète. Tout ce qu'ils ont réussi à accomplir, c'est monopoliser la planète médiatique et retrouver temporairement leur place au sommet du palmarès des atrocités commises au nom d'Allah.

Tout ce qu'ils ont réussi, c'est remettre au goût, pour ne pas dire au dégoût du jour, le nom d'Al-Qaïda, éclipsé ces derniers temps par les gestes barbares du groupe État islamique.

Pour le reste, ces extrémistes identifiés en fin de journée n'ont rien accompli, sinon faire naître de l'horreur et de l'indignation la solidarité et la foi absolue en la liberté d'expression.

Dans un français impeccable et avec beaucoup de dignité, John Kerry a dit que la liberté d'expression ne pouvait pas être anéantie par cet acte de terreur et que même si des journalistes étaient morts comme des martyrs, d'autres bientôt prendraient la plume, le feutre et le clavier pour poursuivre leur oeuvre.

Nous sommes Charlie. Nous n'étions pas dans la salle de rédaction avec les blessés et les morts. Nous n'avons pas entendu le sifflement sinistre des kalachnikovs ni senti la peur nous pétrifier et nous glacer le sang, mais nous sommes solidaires de Charlie et de son esprit.

Les jours, les semaines et les mois qui viennent vont être durs et éprouvants pour les survivants du massacre. Je ne sais pas comment ils vont faire pour prendre la plume ou le feutre, pour esquisser un sourire et retrouver le goût de rire. Mais je sais qu'ils vont réussir envers et contre tout, parce que l'amour est plus fort que la haine, comme le titrait ce journal il n'y a pas si longtemps, et que peu importe ce qui est arrivé ou ce qui arrivera, ils seront toujours Charlie.