Ironie du sort, la semaine dernière, avant que le scandale éclate, Jian Ghomeshi consacrait une partie de son émission à la déferlante de haine contre les femmes sur l'internet. Il interviewait pour l'occasion la productrice Brianna Wu, qui s'est opposée publiquement au sexisme dans les jeux vidéo. Pour sa peine, cette dernière a été menacée de viol et de mort par un groupuscule d'internautes appartenant à Gamergate, un mouvement virtuel ouvertement misogyne.

Le ton de Ghomeshi était des plus compatissants alors qu'il écoutait Brianna Wu raconter qu'après des menaces abjectes, son adresse personnelle a été affichée sur le Net, la forçant de toute urgence à déménager. Ce jour-là, Jian Ghomeshi avait l'air de trouver parfaitement répugnant le sort que l'internet fait subir aux femmes trop opiniâtres. Pourtant, une semaine plus tard, trois de ses présumées victimes, des filles dans la vingtaine qu'il aurait brutalisées lors de rapports sexuels, refusent de s'identifier de peur d'être la cible de menaces de mort sur le Net.

Comme le faisait remarquer une columnist du Toronto Star, la surprise dans cette affaire, ce ne sont pas les comportements douteux de Ghomeshi avec les femmes. Cela fait des années que ça dure et qu'on en parle dans le milieu des médias. La surprise, c'est qu'aucune des filles n'ait porté plainte. Et qu'elles refusent toujours de le faire, de peur de représailles des réseaux sociaux.

Pendant ce temps-là, que fait l'ex-animateur et ex-chouchou de la radio de CBC? Il donne sa version des faits sur sa page Facebook, investissant le lieu même qui terrorise ses présumées victimes.

Autant dire que Jian Ghomeshi maîtrise à merveille les rouages de la communication et de la manipulation. Car sa version des faits est, pour l'instant, la seule version qui prime, puisque CBC se refuse à tout commentaire pour ne pas nuire au procès qui découlera de la poursuite de 55 millions dont elle fait l'objet.

En prenant ainsi les devants et en criant à la diffamation, Ghomeshi a été habile. Hier après-midi, plus de 109 000 internautes avaient liké ses aveux de pratiques sado-maso présumées consensuelles sur Facebook.

Personnellement, je ne crois pas à la pureté des intentions d'un célibataire endurci de 47 ans qui se fait une spécialité de sortir avec des gamines qui ont moins de la moitié de son âge. Personnellement, je crois que ses trois présumées victimes disent la vérité et qu'elles n'étaient absolument pas consentantes à se faire taper dessus comme il leur a tapé dessus.

Sauf qu'il y a du flou, du mou et trop de nuances de gris (sic) dans leur version. Le fait qu'elles refusent de porter plainte par peur d'être ostracisées sur les réseaux sociaux est absurde. La loi leur permet en effet de déposer une plainte pour agression tout en préservant leur anonymat. À trois, en plus, elles auraient toutes les chances de convaincre un juge de leur donner raison. Pourquoi ne pas faire appel à la justice au lieu de laisser courir tout ce flou?

L'autre problème, c'est les témoignages que les filles ont livrés au Toronto Star. «Il m'avait prévenue qu'il serait agressif, je pensais qu'il allait juste me tirer les cheveux et que le sexe serait rough», dit l'une d'elles, admettant par le fait même qu'elle était ouverte à un certain dérapage et que l'attaque qui a suivi était peut-être fondée plus sur un malentendu qu'une réelle intention de perpétrer des voies de fait.

Dernier point faible, le blogue de Carla Ciccone, souvent cité comme la preuve que Ghomeshi est un sinistre prédateur sexuel. Dans un blogue intitulé Je suis sortie accidentellement avec une célébrité présumément gaie qui a démontré de façon sinistre qu'elle ne l'était pas, la blogueuse raconte la soirée calamiteuse qu'elle a passée avec Ghomeshi (rebaptisé Keith) il y a un an.

Ce qu'elle décrit en fin de compte, c'est un type un peu pathétique qui a les mains baladeuses et qui insiste trop auprès d'une fille qui ne veut rien savoir. L'a-t-il agressée, battue, violée? Pas du tout. Il lui a mis la main au cul pendant le concert de Metric, l'a collée contre son gré une partie de la soirée puis, en désespoir de cause, l'a raccompagnée chez elle en voiture en lui volant un baiser. Un comportement pas très brillant, on en convient, mais que la vaste majorité des femmes ont connu à un moment ou un autre sans en développer de traumatisme particulier.

Or, Carla Ciccone décrit cette soirée comme la pire de sa vie, signe que cette jeune femme n'a, de toute évidence, rien vécu de sa courte existence. En fin de compte, tout ce que prouve ce blogue, c'est que Ghomeshi fait pitié, qu'il s'est servi de ses succès à la radio pour s'attirer de jolies filles qui sinon ne l'auraient même pas remarqué et que l'indifférence à laquelle il a échappé grâce à son émission ne l'a pas rendu meilleur. Au contraire.

Quant à la télé publique, on se demande à quel jeu elle joue. Ghomeshi aurait en effet passé la semaine dernière à mettre au point avec ses patrons une version des faits commune, au cas où ses pratiques sado-maso étaient révélées sur la place publique. À ce moment-là, il n'était absolument pas question de congédiement. Tout a basculé dimanche. Pourquoi? La CBC a-t-elle appris des choses que Ghomeshi lui avait cachées? A-t-elle eu peur de voir le Toronto Star publier les témoignages des présumées victimes?

Décidément, cette affaire s'enlise dans toutes les nuances possibles de gris. À des degrés divers, elle donne à tout le monde un mauvais rôle.