On l'aura attendu, ce film. Cinq longs mois depuis que Mommy a été présenté à Cannes, qu'il a récolté des tonnes d'amour, des tonnerres d'applaudissements et le Prix du jury.

On l'aura attendu dans l'écho d'une rumeur enthousiaste nous parvenant de Melbourne, Karlovy, Sydney, Telluride et Toronto, autant de villes et de festivals qui l'ont vu avant nous et dont on s'est parfois demandé pourquoi là-bas et pas ici? Pourquoi eux et pas nous?

Mais l'attente est enfin terminée, ou presque. Hier, Mommy, Xavier Dolan et ses acteurs revenaient au bercail et déposaient leurs émotions à fleur de peau sur l'écran de la salle Maisonneuve. Hier, c'était soir de première montréalaise, 10 jours avant la sortie officielle du film dans les cinémas du Québec.

L'attente en a-t-elle valu la peine? Absolument. Même si ce cinquième film de Xavier Dolan aura ses détracteurs, ses sceptiques, ses ennemis jurés, ses boudeurs blasés, il ne pourra laisser personne indifférent.

Pourquoi? Parce que ce film, réalisé par un jeune homme de 25 ans, est tout simplement magnifique. C'est aussi un film dur, énervant, exaspérant, excessif, exagéré, mais magnifique.

En introduction de son cahier de presse, Xavier Dolan fait la somme de tout ce dont il a parlé dans ses cinq films: d'amour, d'adolescence, de Jackson Pollock, d'ostracisme, d'homophobie, de transsexualisme. Il ajoute: «J'ai parlé joual et j'ai parlé mal, j'ai sacré comme un charretier, parlé l'anglais parfois et parlé à travers mon chapeau plus souvent qu'à mon tour, je suppose... Mais s'il est un sujet que je connaisse sous toutes ses coutures, qui m'inspire inconditionnellement et que j'aime par-dessus tout, c'est bien ma mère, ou plutôt LA mère.»

En effet. Quand Xavier Dolan parle de la mère, intime ou collective, locale ou universelle, il sait de quoi il parle. Il y a cinq ans, J'ai tué ma mère nous a renversés, bouleversés, fait brailler et courir en masse au cinéma. Mommy devrait avoir le même effet, même si ce n'est absolument pas le même film et que la merveilleuse Anne Dorval n'y est pas la même mère célibataire.

Dans Mommy, la classe sociale a changé. Nous sommes dans le Longueuil brun et terne d'une classe sans moyens qui en arrache, mais qui se bat avec la dernière énergie sans jamais verser dans le misérabilisme. À ce sujet, Dolan écrit: «Je m'étais juré de tout faire pour que mes personnages ressemblent aux voisins de mon quartier d'enfance et non pas à leur caricature.» Pari réussi.

Avec une tendresse décomplexée qui fait du bien, Dolan nous entraîne dans les classes populaires, avec le vrai monde, là où l'on se maquille trop, où l'on s'habille de manière mille fois trop voyante et où l'on parle avec un gros accent joual des années 70, là où les mères sont souvent célibataires et où les fils sont parfois incontrôlables. Mais il n'y a aucun jugement de classe dans son regard. Il n'y a que de l'amour pour cette veuve clinquante qui se débat comme une damnée pour sauver Steve, son fils unique, un ado hyper actif, abusif, autodestructeur et pourtant si attachant.

Dans une scène particulièrement poignante où un tournant majeur est en train de se produire, Dolan oppose la mère et le fils et les plonge dans un dilemme sans issue. Or, plutôt que de demander au spectateur de choisir son camp, la scène, déchirante à souhait, est ainsi construite que le spectateur est incapable de choisir entre les deux et ne peut que comprendre et compatir. C'est ça, la grande force de Mommy, cette capacité de mettre en scène des événements durs, douloureux, violents, mais qui, au lieu de faire appel à notre jugement, à l'opiniâtreté de notre raison, s'adressent à notre humanité. Il faut avoir un grand sens du cinéma pour arriver à maîtriser à ce point son propos. Il faut aussi avoir du coeur, ce qui ne semble pas manquer à Xavier Dolan dès qu'il est question des mères.

J'ai retrouvé dans ce film des relents de Léolo de Jean-Claude Lauzon. Ce n'est pas le même univers à l'écran, mais il s'y déploie avec la même la déchirante intensité, avec la même criante intensité. J'ai pensé aussi aux 400 coups de Truffaut, à la nuance que le jeune Antoine Doinel était une victime des circonstances. Le Steve de Mommy l'est aussi à sa manière, mais en tellement plus déchaîné, excessif, rock'n'roll, moderne en somme. Steve est une bombe à retardement, comme le sont trop de jeunes gavés de techno, de jeux vidéo et privés de repères et de balises. Et celui qui l'incarne - le jeune Antoine Olivier Pilon - le fait avec brio, grâce à son talent, mais aussi au fin psychologue qui le dirige.

J'espère que ce film saura faire le plein de spectateurs dans les salles de cinéma du Québec. J'espère qu'il sera le candidat du Canada pour la course aux Oscars. Et même si c'est un peu tôt, j'espère qu'il gagnera. Parce qu'il porte en lui l'avenir. Celui des jeunes comme celui du cinéma.