Un réalisateur déchu, un festival de films bidon, un pays fictif dans le Caucase et un dictateur qui croit que l'identité d'un pays passe plus par la fabrication de son image que par sa reconstruction: voilà l'appétissante prémisse de Perdu au Karastan, une satire du cinéaste britannique Ben Hopkins qui, au cas où vous vous le demandiez, n'est pas parent avec Sir Anthony Hopkins.

Le film était présenté en compétition officielle au FFM samedi matin. Et à voir son titre, on pouvait imaginer qu'il y aurait un peu de Borat là-dedans. Par Borat, je ne parle pas nécessairement de Sacha Baron Cohen, mais plutôt de ce qui fait son style : l'exagération, l'outrance et la caricature grossière qui met en lumière la vacuité et l'inculture du monde. Mais en fin de compte, Perdu au Karastan évite l'excès et l'outrance et se cantonne dans un entre-deux qui ne manque pas de subtilité, mais qui dilue un peu sa force de frappe.

Au départ, nous nageons en pleine comédie, alors qu'un cinéaste britannique (Matthew McFayden) débarque dans la République autonome du Karastan, quelque part entre le Kurdistan et la Mongolie intérieure. La soirée d'ouverture du festival de films, avec sa disco aux néons criards et sa poignée d'amis du régime qui carburent à la vodka nationale en dansant sur du rock à numéros, est une scène d'anthologie. Tout comme la scène où le réalisateur découvre, à son plus grand désarroi, une salle de cinéma remplie d'enfants d'école qui ont été traînés de force par le régime pour voir son film le plus violent et le plus explicite sexuellement.

En fin de compte, le réalisateur a été invité au festival sous de faux motifs. La vérité, c'est que le tyran sans coeur qui dirige le pays veut que le réalisateur tourne une fresque historique, pour ne pas dire un tissu de mensonges, à la gloire du Karastan. Lorsque le réalisateur découvrira le pot aux roses, il sera un peu tard pour faire marche arrière, d'autant qu'il est tombé amoureux de l'adjointe sexy du président.

Mon moment préféré arrive à la fin, lorsque le dictateur, tombé sous l'assaut des rebelles, a été obligé de fuir et coule des jours paisibles à Londres. Invitant le cinéaste déchu (qui est maintenant vendeur dans une quincaillerie) dans son manoir au milieu de Londres, il lui apprend une nouvelle stupéfiante. Après avoir étudié longuement la chose, il a trouvé la formule gagnante pour remporter la Palme d'or à Cannes. On attend toujours la recette.

DES FOIS, C'EST LE PÉROU

Le cinéma péruvien? On a l'impression que c'est un cinéma inexistant ou presque. La seule fois où le Pérou s'est démarqué cinématographiquement, c'était en 2009 avec The Milk of Sorrow de la réalisatrice Claudia Llosa, qui a remporté un Ours d'or à Berlin, puis une nomination aux Oscars, la première dans toute l'histoire du cinéma péruvien. Pourtant, ce dernier se porte mieux que jamais, comme en témoigne Chien de garde, le premier film péruvien de la compétition officielle, une oeuvre sombre et plutôt bien ficelée. Le film raconte un épisode trouble de l'histoire politique péruvienne. Il se déroule en 2001, l'année où une amnistie fut décrétée au profit des paramilitaires qui, dans les années 80, avaient été payés par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme du Sentier lumineux. Le résultat fut une guerre civile sanglante qui a fait plus de 70 000 morts, 16 000 disparus et creusé quelque 4000 fosses communes partout au pays. Le personnage central du récit est un paramilitaire devenu tueur à gages qui bascule dans le fanatisme religieux. Avant, il tuait pour la patrie; maintenant, il tue pour Dieu. Le plus drôle, c'est que l'acteur Carlos Alcantara, qui interprète avec une belle et sombre intensité le tueur, est en réalité un stand-up comic et une des vedettes les plus populaires du Pérou. Sa dernière comédie a fracassé des records au box-office péruvien avec plus de 3 millions d'entrées, preuve que des fois, même au Pérou, c'est le Pérou.

MAUVAISE HISTOIRE, BON FILM

Pour certains, le meilleur film de la compétition, samedi, venait d'Italie. La « mauvaise histoire » du réalisateur Gianluca Maria Tavarelli offre en effet une superbe variation italienne sur la guerre en Irak, en privilégiant l'aspect humain plutôt que la géopolitique. La mauvaise histoire du titre fait référence à la quête de Stefania, une infirmière dont la vie a été brisée par la mort de son mari en Irak. Déterminée à retrouver la famille du kamikaze qui a tué son mari, elle se joint à une ONG médicale en Irak. Mais elle le fait pour les mauvaises raisons, aveuglée par sa douleur et convaincue que son deuil est l'affaire la plus importante au monde. Lentement et avec beaucoup de finesse, cette femme blessée, égoïste et antipathique va se réveiller aux âpres réalités des Irakiens et comprendre que son deuil, en fin de compte, n'est pas très différent du deuil de la femme du kamikaze. Le film est une belle réussite, tant sur le plan du récit, du montage et de la photographie que de la psychologie des personnages. Mais surtout, ça fait le plus grand bien de voir un film sur l'Irak qui n'est pas produit par un grand studio américain.

MENTION SPÉCIALE

Des sources généralement bien informées affirment que le meilleur film jusqu'à maintenant, toutes catégories confondues, celui qui éclipse tous les autres par sa beauté et sa profondeur, est le film russe Chagall-Malevich. Il aurait déjà fait le bonheur de plusieurs festivaliers. Et comme un bonheur n'arrive pas seul, le film repasse ce soir à 21 h 40 au Quartier latin.